«Cloud Cowboys», nouveau roman d’Hicham Lasri, est l’histoire d’un monde à l’agonie. Une fable arabo-futuriste à la croisée de «Mad Max» et du mythe. Un roman où l’espoir, plus encore que l’eau, devient la ressource la plus rare.
La famille Vallenari, derniers «Cloud Cowboys», dérive au-dessus des terres mortes à bord de la Beatle, machine colossale, conçue pour capturer la pluie. Leur quotidien déjà précaire, bascule lorsqu’un nuage contaminé, s’écrase à proximité, libérant une toxine mystérieuse et mortelle.
Entourés par l’odeur écœurante de la cuisine de Nora Vallenari, et le silence gluant provoqué par la dernière affirmation de Sami Vallenari. Ils se regardent un moment, laissant s’installer la gravité de la journée qui les assaille. Maladresse. Sami Vallenari reçoit le contrecoup affectif de sa sœur comme une gifle sur la truffe et fait rouler ses yeux partout, y compris derrière, vers sa cervelle de moineau pour rebondir et arracher Nora Vallenari au trou noir maternel. Que dire? Que faire? Il regarde par les fenêtres- hublots du Beatle, comme unique horizon, il n’a que la ligne molle et poussiéreuse d’un monde privé d’eau et de tendresse que les filaments des rayons de soleil fouettent en vain et sans pitié. Après deux terribles et ravageuses Guerres de l’Eau, ils vivotent sur la carcasse de la Trêve des Nuages. Une trêve aussi volatile que les nuages. 0,5 g au mètre carré. Tout le monde sait qu’il y a encore des guerres de frontière pour s’approprier les nuages qui flottent entre deux territoires, mais cette géopolitique des nuages a déjà fatigué tout le monde. Lassitude. Laissons les soldats jouer à la chair à canon si cela les occupe, ou les amuse. Nora Vallenari esquive le regard de son frère aîné. Malaise. Il s’accroche à la balle en la faisant tournoyer autour de son cou.
— Ça ne te plaît pas?
— Ça agace mon côté pragmatique.
La communication avec sa sœur est rétablie, le malaise enjambé difficilement. Effort. Nora Vallenari comprend que son frère ne réussit pas à se dépatouiller de ses états d’âme, de ses tripes, il est parfois éléphant, parfois fantôme, parfois coquille vide. Elle compose avec sa fragilité et son inconsistance.
Les deux se sentent seuls et abandonnés, le Père Vallenari est parti depuis des semaines, et secrètement, les deux espéraient son retour pour marquer le sinistre anniversaire de la mort de la Mère Vallenari. Espoir. Sans se consulter, ils ont espéré en chœur. Une espérance qui semble maintenant stupide: qui fête l’anniversaire de la mort accidentelle de sa mère? Elle toise son frère, jeune, frêle, avec sa voix faiblarde: il n’y a pas d’âge pour être minable. Méchanceté. Elle n’aime pas l’odeur de son frère, l’odeur des gens qui ont soif. Nora Vallenari nourrit parfois des sentiments d’une intense cruauté envers son frère comme pour se venger de lui, se venger de quelque chose qu’il sera amené à lui faire. Vacuité. Parfois, elle se donne comme excuse cette terrible envie de se dédouaner en se disant qu’elle cherche à faire de lui autre chose qu’un Geek mollasson consommateur de Kompromat. Elle veut faire de lui un homme. Cette idée l’amuse parfois. Elle sait que Sami tolère son côté «Boss Girl» en affichant ce sourire de saint qui l’énerve. Il est si commode d’être mineur. Ces mots de Maître Kant traversent l’esprit dégagé de Sami comme une bannière dans un ciel nauséeux. Oui, c’est tellement commode de laisser Nora se charger de tout, elle a plus besoin de se sentir utile que lui.





