À Casablanca se tient depuis quelques jours une exposition aussi inédite qu’audacieuse au sein de la maison de couture Zhor Raïs, «Dalí Diali – L’étoffe du rêve». Au terme de trois ans de recherche et de travail, la créatrice marocaine a réalisé l’incroyable pari d’une collection de caftans et pièces couture inspirées de douze sculptures de Salvador Dali, le maître catalan du surréalisme.
Chaque pièce de sa collection, griffée de la signature de l’artiste, explore un grand motif dalinien. D’Adam et Eve à Alice aux pays des merveilles en passant par la danse du temps, chaque sculpture de Dali est réinterprétée par Zhor Rais et les artisans qui l’accompagnent. Le temps élastique, la métamorphose, le rêve et l’inconscient, l’envol, la légèreté, le féminin pluriel, la dualité des formes, le mouvement continu, la mémoire habitent ainsi les broderies traditionnelles marocaines, sculptent les étoffes, transformant ces pièces couture en sculptures textiles, et la couture elle-même en territoire imaginaire. Faire dialoguer le geste ancestral du caftan avec l’univers de Salvador Dali, il fallait oser. Mais n’est-ce pas là le but ultime du surréalisme: oser s’affranchir des barrières.
Outre la beauté de cette exposition qui sera amenée à voyager de par le monde dans des institutions muséales et portera haut la voix des artisans marocains, ce qui nous intéresse ici est l’expression d’un patrimoine vivant qui ne cesse de se renouveler, de se réinventer, préservant le geste ancestral tout en le soumettant à la créativité et à la modernité mais sans jamais le corrompre. C’est précisément cela qui a été reconnu à l’UNESCO, le 10 décembre, avec l’inscription sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, du dossier portant sur «Le caftan marocain: arts, traditions et savoir-faire».
Ce qui a ainsi été reconnu est l’expression toujours vivante et vivace d’un patrimoine qui perdure depuis des siècles et qu’il convient de sauvegarder à tout prix, étant convenu qu’il représente un pan de l’identité des communautés qui perpétuent ce précieux savoir-faire. Dans chaque fil tissé de brocart, dans chaque broderie au fil d’or, dans chaque motif représenté, s’entremêlent les histoires de générations de femmes et d’hommes qui ont dédié leur vie à la perpétuation d’un patrimoine. Une tâche pénible mais ô combien gratifiante quand on voit s’illuminer les yeux de ceux que l’on qualifie à tort de «petites mains», lorsqu’ils évoquent leur passion pour leur art.
Voilà ce qui a été reconnu par l’UNESCO, une consécration de cette mémoire marocaine qui perdure à travers les âges. Voilà aussi ce que nos chers voisins ont essayé à tout prix d’empêcher. Mais faute de pouvoir contester la véracité d’un patrimoine de près de treize siècles, la délégation algérienne a choisi d’inventer des irrégularités dans la candidature du Maroc, espérant jouer sur des vices de procédures pour éradiquer le caftan marocain. Une grosse erreur sanctionnée par un désaveu cinglant de la part du comité intergouvernemental de l’UNESCO, dont l’Algérie fait partie de 2024 à 2028. Parler d’humiliation est un euphémisme car la politisation de ce dossier n’aura échappé à personne et a donné lieu à 1h30, non pas de débat car tous les membres du comité étaient unanimement en faveur de la candidature marocaine, mais de pugilat à l’encontre de l’Algérie.
Au lendemain de cette inscription qui a pris la forme d’une bataille, avec un vainqueur et un perdant, chose qui n’aurait jamais dû être et qui est pour le moins inédite dans les annales de l’UNESCO, la délégation algérienne et ses représentants ont alors choisi d’employer une méthode pour le moins surréaliste: ajouter le mot «caftan» à deux précédents dossiers inscrits par l’Algérie portant sur le costume du grand est algérien, et la tenue nuptiale de Tlemcen, la plus marocaine des villes d’Algérie.
Il aura fallu une heure de débat pour clore le sujet car de la même manière que la volonté de politiser une affaire culturelle n’aura échappé à personne la veille, les membres du Comité ont également très bien compris la stratégie algérienne consistant à profiter d’un vide juridique pour s’y engouffrer. Ainsi donc, c’est sans aucun accord de l’organe d’évaluation censé vérifier la véracité et les fondements d’une candidature que l’Algérie a pu s’appuyer sur des précédents et jouer sur les failles des directives opérationnelles de l’UNESCO pour, dixit une presse dithyrambique, «remporter une victoire», «se voir accorder la primauté du caftan par l’UNESCO» ou encore considérer cela, selon le ministre des Affaires étrangères algérien, comme «un nouveau succès diplomatique majeur pour l’Algérie, tant sur la scène culturelle internationale que dans le cadre de la diplomatie multilatérale». Considérer l’inscription du mot caftan à l’UNESCO comme un succès diplomatique majeur, c’est dire l’isolement de ce pays qui accumule les revers.
Ce dont l’Algérie ne parlera pas en revanche, c’est de la résolution portée par la France, immédiatement après ce consensus qui a plongé le comité dans un profond malaise, afin que ce cas de figure ne puisse plus jamais se reproduire, étant entendu comme l’ont rappelé les représentants des délégations d’Haïti, de France et du Paraguay, que ce tour de passe-passe n’aurait jamais dû se produire tant il met à mal une faille dans la réglementation de l’UNESCO. Ainsi, donc, grâce à l’Algérie qui pour la peine est pionnière en la matière, plus aucun pays ne pourra modifier le nom d’un dossier a posteriori sans que le dossier ne soit réétudié en profondeur par le comité pour juger des fondements de cette demande et s’assurer de la véracité de la démarche. Car la question cruciale qui s’est posée et se posera toujours est: est-ce que le savoir-faire du caftan est perpétué en Algérie? La réponse est non, sans quoi, le caftan aurait été introduit auparavant dans ces dossiers qui datent pour le plus récent de 2024 et pour le plus ancien de… 2012! Il aura donc fallu treize longues années à l’Algérie pour se souvenir que le port du caftan est pratiqué dans les cérémonies nuptiales de Tlemcen. Incroyable ou plutôt surréaliste, tout autant que la photo d’un caftan Ntaâ de Fès introduite frauduleusement dans le dossier du costume du grand est algérien.
Mais comme l’affirmait un autre grand maître du surréalisme, René Magritte, dans son tableau «La trahison des images», qui représente une pipe, «Ceci n’est pas une pipe». De cette fameuse pipe, le grand maître disait «me l’a-t-on assez reprochée! Et pourtant, pouvez-vous la bourrer ma pipe? Non, n’est-ce pas, elle n’est qu’une représentation. Donc si j’avais écrit sous mon tableau ‘Ceci est une pipe’, j’aurais menti!».
En apposant un mot et une image sur une coquille vide, l’Algérie tente, encore une fois, de faire illusion. Alors non, «ceci n’est pas un caftan», chers voisins. Pouvez-vous le fabriquer? Disposez-vous seulement du savoir-faire nécessaire à sa confection? La réponse est non, et si nous vous disions que ceci est un caftan, nous vous mentirions. Ainsi va le merveilleux monde du surréalisme... Pendant que nos artisans dialoguent avec Salvador Dali à Casablanca, d’autres donnent raison à René Magritte et se bercent d’illusions à Alger.











