Biennale d’architecture de Venise 2025: dans les coulisses du pavillon du Maroc

La Biennale d'architecture de Venise aura lieu entre mai et novembre 2025. andrea avezzu'

La 19ème édition de la Biennale d’architecture de Venise se tiendra du 10 mai au 26 novembre 2025 et verra la participation du Maroc se déployer, dans un pavillon officiel au sein de l’Arsenale, à travers un projet novateur. Le360 est allé à la rencontre du duo d’architectes marocains à la tête de ce projet.

Le 27/02/2025 à 15h56

Au terme d’un concours co-organisé par le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication et le ministère de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville, le projet «Materiae Palimpsest» a été retenu parmi dix autres pour représenter le Maroc à la 19ème Biennale d’architecture de Venise.

Réalisé par le duo d’architectes marocains El Mehdi Belyasmine et Khalil Morad El Ghilali, ce projet célèbre l’architecture de terre, inspirée des pratiques vernaculaires de construction en matériaux locaux et durables. Il s’inscrit ainsi dans la thématique générale de cette 19ème Biennale, articulée autour de «Intelligens. Natural. Artificial. Collective». À la clé, une expérience immersive dans l’art de la construction en terre, visant notamment à redéfinir la perception de l’intelligence collective.

Pour en savoir plus sur ce projet inédit, Le360 est parti à la rencontre de ces deux jeunes architectes, âgés d’une trentaine d’années, qui collaborent pour la première fois ensemble et ont été formés sur les bancs de l’ULB La Cambre Horta à Bruxelles. Leur force réside dans une approche très complémentaire. Ainsi, Khalil Morad El Ghilali, fondateur de l’Atelier BE, explore les liens entre architecture, climat, écologie et nouvelles technologies au sein de son cabinet de conception et de recherche interdisciplinaire. De son côté, El Mehdi Belyasmine, fondateur de Belyas.co, combine design créatif et technologies numériques pour créer des architectures durables et significatives.

La genèse d’un projet «clé en main»

Pour sa grande première à la Biennale d’architecture de Venise, le Maroc a confié le commissariat de son pavillon à Mohamed Benyacoub, directeur des arts au département de la Culture. Une mission avant tout administrative, puisque le choix du Maroc a été de déléguer la création architecturale et artistique au duo d’architectes sélectionné, qui a ainsi composé sa propre équipe afin de livrer un projet «clé en main». Parmi les critères imposés aux participants du concours figurait notamment l’obligation de présenter une exposition au jury, présidé par Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées du Maroc, et non une construction.

Le projet sera ainsi porté par une équipe 100% marocaine, composée d’une cinquantaine de personnes issues de disciplines variées. Le duo d’architectes, qui intervient en tant que curateurs et exposants, s’appuiera sur l’expertise d’un scénographe et d’artistes, notamment Soumia Jallal pour la partie textile, ainsi que de sculpteurs, designers et ingénieurs du son, afin de mettre en avant le caractère créatif et artistique de ce projet.

Dans les coulisses du pavillon du Maroc

Ce projet autour de l’architecture de terre se déploiera, selon Le360, dans un pavillon de 290 m² au sein de l’Arsenale, où trois éléments principaux seront mis à l’honneur: «l’outil, le produit – soit la matière transformée – et l’humain, c’est-à-dire la personne qui va expérimenter le pavillon immersif», explique Khalil Morad El Ghilali. Ainsi, le visiteur sera invité à une immersion sonore, visuelle et olfactive, plongeant dans la mémoire du Maroc.

Bien loin d’une carte postale architecturale du pays et des clichés attendus, ce projet soulève des questionnements essentiels portés par le duo d’architectes: l’avenir des artisans, la sauvegarde du patrimoine architectural et les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.

Dans le pavillon, il ne s’agira pas de reconstituer un bâtiment en particulier, mais d’exprimer «un degré zéro de l’architecture», explique Khalil Morad El Ghilali à Le360, avec «une structure qui met à nu la composition d’un mur en terre». L’idée est ainsi «de remettre l’architecte au centre de son métier», poursuit-il, à travers ce palimpseste qui dévoile des strates de matériaux en perpétuelle évolution.

Au centre du pavillon s’élèvera une structure pyramidale de 17 mètres sur 17, abritant une agora représentant le cœur battant de l’exposition. C’est ici que le public pourra interagir avec les hologrammes de deux artisans marocains: l’un façonnant la terre, l’autre tissant, dans un dialogue entre passé, présent et futur. Autour de l’agora, soixante-douze colonnes, de hauteurs variées (de 50 cm à 2,25 m), s’élèveront vers un toit en forme de dôme. Chacune sera composée de matériaux utilisés dans l’architecture traditionnelle marocaine, tels que la terre et la chaux, afin d’illustrer une diversité de couches et de techniques constructives. «Il s’agit d’une coupe géologique qui ne représente pas seulement des stratifications, mais aussi les différentes techniques utilisées», précise Khalil Morad El Ghilali.

Pour couronner l’ensemble, 2.400 outils anciens de construction seront suspendus dans les airs, formant une constellation rappelant un mouqarnas – cet élément de l’architecture islamique, en forme de stalactites ou de nids d’abeilles, qui permet de répartir les poussées des voûtes et d’assurer la transition entre un plan carré et une coupole. Ces outils suspendus interrogent «le rapport à la technique», expliquent les architectes, qui cherchent à déconstruire l’idée de modernité et son lien exclusif aux nouvelles technologies.

Et pour cause, «par le passé, l’invention même du pisoir relevait d’une technologie. Le rapport même à la langue est une technologie. Il était très important pour nous de remettre ces histoires au centre de la modernité de leur époque», précise Khalil Morad El Ghilali, dont le projet s’appuie également sur un jeu de miroirs permettant un dialogue entre techniques traditionnelles et modernes.

Cette expérience immersive, ultra-sensorielle, sera enrichie d’une bande sonore illustrant notamment des bruits de chantiers, des chants rituels accompagnant le travail de la terre et du pisé, ainsi qu’un extrait du discours de feu le roi Hassan II adressé aux architectes du Maroc en 1986, dans lequel le souverain évoquait «l’intelligence qui se dégage du sol».

Le questionnement au cœur du projet

Ce projet hors du commun analysera en profondeur les différentes techniques de construction en terre utilisées à travers le territoire marocain, telles que le pisé, la pierre taillée, la pierre ciselée ou encore l’adobe, certaines étant encore en constante évolution. L’objectif est de remettre en question les codes et les dogmes, tout en explorant le champ des possibles afin de préserver ces savoir-faire, de les valoriser et d’entrevoir les innovations futures.

«Ce retour aux bases nous permet de renouer avec la durée du temps, à travers une temporalité humaine», poursuit l’architecte, qui interroge ainsi l’avenir du Maroc et sa manière de s’insérer dans des problématiques internationales, notamment face aux bouleversements liés au changement climatique. «Dans quel sens le Maroc est-il en train de s’orienter?» C’est la question centrale de ce projet, qui entend aussi émettre une critique sur l’anarchitecture, cette approche qui a marqué une partie de l’histoire moderne de l’urbanisme, notamment à travers l’expansion des périphéries urbaines, la disparition des terres agricoles ou encore les politiques de reconstruction post-séisme.

Ce pavillon s’inscrit résolument dans la contemporanéité, loin du cliché d’un Maroc figé dans une période architecturale historique. «Il était important pour nous de déconstruire cela, de comprendre que le matériau lui-même génère une architecture, que, par sa propre composition, il dispose justement d’une architecture. L’idée est ainsi, à travers le matériau, de s’interroger sur la typologie d’espace qu’il génère», expliquent les architectes. Ils citent notamment des pays comme l’Allemagne, qui ont su intégrer la question des ressources et de l’énergie première dans leur démarche architecturale, ou encore la Suisse, qui s’inspire du Maroc et de ses techniques traditionnelles en utilisant des matériaux bruts et anciens pour s’inscrire dans une modernité en phase avec les enjeux climatiques et la transition écologique.

Au-delà des murs du pavillon du Maroc

De vastes sujets de réflexion et de débats seront abordés tout au long de la Biennale à travers des séminaires animés par des spécialistes, portant notamment sur la recherche autour des ressources, la pérennité de certains savoir-faire et la disparition d’autres techniques ancestrales.

L’exposition sera également accompagnée par la publication d’un catalogue, qui se veut davantage un manifeste, intitulé Materiae Palimpsest, édité par El Mehdi Belyasmine et Khalil Morad El Ghilali. Il réunira les contributions de plusieurs experts et artistes, dont Alia Bengana, Rabia Charef, Rabiaa Harrak, Ahmed El Hassani, Jean Dethier, Nadya Rouizem, Soumiya Jalal, M’barek Bouhchichi, Mounsif Ibnoussina et Faycal Tiaiba. Bien plus qu’une simple présentation de l’installation scénographique, cet ouvrage apportera un éclairage approfondi sur le thème central du pavillon: les techniques de construction à partir de matériaux locaux. Il visera ainsi à élargir et prolonger la réflexion à travers une approche multiscalaire, explorant les défis climatiques et écologiques, la transmission des savoirs, les principes de l’économie circulaire et le potentiel d’innovation de l’architecture marocaine.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 27/02/2025 à 15h56

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