Ta vie dans le Métaverse

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ChroniqueUne affaire de harcèlement sexuel s’invite dans l’horizon idyllique du Métaverse avec le témoignage d’une utilisatrice dont l’avatar aurait été victime… d’attouchements non consentis.

Le 19/12/2021 à 14h30

Imaginez un monde où vous n’aurez plus besoin de quitter le confort de votre canapé pour vivre des aventures extraordinaires, pour faire du business, du sport, du shopping, sortir en boîte, visiter un musée, être en couple, un monde où la solitude sera un concept suranné, un monde où l’on pourra être qui l’on veut en se glissant dans la peau de notre avatar… Voilà nous y sommes. Bienvenue dans le Métaverse et dans le monde cauchemardesque qui est aujourd’hui devenu réalité.

Depuis quelques jours, aux Etats-Unis et au Canada, les plus de 18 ans peuvent désormais vivre leur vie virtuelle sur Horizon Worlds, le jeu vidéo en réalité virtuelle développé par le groupe Meta, ex-Facebook. Pour vous la faire courte, ce jeu est une gigantesque plateforme sociale multi-joueurs, disponible aux utilisateurs munis du casque Oculus Quest 1 et 2, ressemblant pour le moment à Minecraft, le jeu de construction. Objectif, rassembler des joueurs de différentes communautés non plus avec pour seul objectif de construire des blocs mais de faire des«rencontres», de «sociabiliser» en organisant par exemple des soirées cinéma, des spectacles, des séances de yoga, etc.Autrement dit, aujourd’hui, on ne se contentera plus de liker un post ou de le détester, on pourra vous dire en face ce qu’on en pense, via des avatars.

Pour mieux imaginer les possibilités de cette plateforme, direction The Sandbox, une métaverse devenue aujourd’hui le nouvel Eldorado des stars, des marques et des investisseurs. Dans cet univers virtuel, ouvert aux acquéreurs de tous bords, les tractations immobilières se font en cryptomonnaie et à l’instar d’Adidas, qui y a acquis plusieurs hectares ou de SnoopDogg qui y a acheté une propriété, copie conforme à son manoir californien, on peut devenir l’heureux propriétaire d’un terrain ou d’une maison avec à la clé un acte de propriété numérique qui permet aux acheteurs d’avoir un historique de la valeur du bien et de pouvoir le revendre moyennant une plus-value. Et autant dire qu’avoir pour voisin une célébrité donne de la valeur à un terrain. Ainsi, un utilisateur de la plateforme a récemment acquis la parcelle mitoyenne à celle du rappeur pour la modique somme de 70 903 SAND, la monnaie virtuelle de The Sandbox, soit 450.000 dollars!

Pour ce prix-là, le nouveau voisin aura accès aux soirées privées organisées dans le manoir virtuel du rappeur. De quoi donner des idées à SnoopDogg qui monnaye désormais l’accès à ses soirées virtuelles au cours desquelles les avatars d’invités peuvent trinquer avec l’avatar de leur idole, assister à un concert privé, moyennant la somme d’un ethereum, soit 4500 euros le ticket d’entrée. Voilà pour le côté business de la chose… Venons-en maintenant à l’envers du décor, autrement moins attrayant et sacrément flippant.

A peine né, le monde si idéal d’Horizon Worlds est ainsi déjà entaché d’un premier scandale aux Etats-Unis. Alors que le mouvement #metoo continue de déferler IRL (In Real Life), une affaire de harcèlement sexuel s’invite dans l’horizon idyllique du Métaverse avec le témoignage d’une bêta-testeuse dont l’avatar aurait été victime… D’attouchements non consentis. La jeune femme raconte ainsi sur le groupe d’échange ouvert aux bêtas-testeurs du jeu:«non seulement j'ai été tripotée hier soir, mais il y avait d'autres personnes présentes qui soutenaient ce comportement»… Et d’expliquer que «le harcèlement sexuel n'est déjà pas acceptable sur Internet, mais la réalité virtuelle rend l'expérience encore plus pénible». On veut bien la croire sur parole: assister à son propre viol en réunion, virtuel, doit être sacrément éprouvant et déboussolant. Alors vers quoi se dirige-t-on exactement? Des tribunaux virtuels pour juger des crimes virtuels? A moins que les crimes virtuels qui seront commis dans le Metaverse ne soient jugés IRL?

Du côté du groupe Meta, on déplore l’incident en expliquant par ailleurs que la jeune femme pouvait toutefois activer une fonction destinée à ne pas interagir avec les autres joueurs. Possible aussi, explique-t-on, de bloquer un autre utilisateur ou d’activité une «zone sûre» autour de son avatar pour le protéger des autres. Incroyable mais vrai, les problèmes de la vraie vie se sont téléportés dans l’autre monde et là-bas aussi, l’homme est un loup pour l’homme. C’est dire notre prédisposition pour la violence et la porte qui s’ouvre, via cette plateforme virtuelle, à bien des dérives que l’on commence à peine à soupçonner.

Déjà, nombreux sont les lanceurs d’alerte à nous mettre en garde contre le Métaverse car, admettent même jusqu’aux équipes de Meta, la modération du Métaverse est tout bonnement impossible. Comment pourrait-elle l’être alors même que son ancêtre Facebook n’a toujours pas réussi le pari de la modération de ses réseaux sociaux à travers le monde?

Les risques sont grands, et d’autant plus pour nos enfants qui s’éveillent à la vie dans des environnements virtuels dont on ne maîtrise pas les dangers et dont on ne peut qu’imaginer l’impact psychologique néfaste sur leur développement. On sait aujourd’hui à quel point le harcèlement scolaire a pris des dimensions épouvantables en débarquant sur les réseaux sociaux et en se transformant en cyber-violence. Que se passera-t-il dans ce nouveau monde d’avatars?

Des centaines de milliers de personnes qui pourront se parler à n’importe quel moment, qui pourront acheter des habits pour leurs avatars, qui pourront même faire revivre des personnes proches décédées... Les possibilités sont immenses, les enjeux financiers insoupçonnables et à la fois terrifiants. Car dans ce nouveau monde gratuit d’accès, n’oublions pas que nous sommes le produit qui se vend. Hosni Zaouali, consultant à l’université de Stanford et entrepreneur franco-tunisien alertait ainsi récemment sur les dangers de ce qu’il qualifie de «dictature digitale», comparant le tout puissant CEO du groupe Meta, Mark Zuckerberg, à un chef d’Etat digital, à la tête d’une nation de plus de 2 milliards de comptes, ayant accès à des informations sur ses citoyens digitaux, disposant de sa propre monnaie et son propre marché.

Alors comment faire pour nous protéger et préserver nos enfants de ce monde où l’intelligence artificielle risque bien de pirater nos cerveaux? Commençons par ne pas faire les mêmes erreurs qu’avec les réseaux sociaux en sautant dedans à pieds joints, car cette fois-ci on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.

Saviez-vous que «Meta» en hébreu signifie «mort»? Tout est dit.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 19/12/2021 à 14h30