Héritage: quand même le débat devient un tabou

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ChroniquePeut-on encore souffrir aujourd’hui que des débats sociétaux aussi importants, censés apporter des solutions concrètes à de nombreuses inégalités sociétales, soient ainsi avortés sous prétexte d’entorse à la religion par des pères-la-vertu qui, rappelons-le, sont avant toute chose des politiciens?

Le 03/07/2022 à 14h52

Il est certains sujets sociétaux qui, dès lors qu’ils sont sortis du tiroir pour être discutés, provoquent une levée de boucliers et une saillie de discours moralisateurs. Parmi ces sujets qui fâchent, celui de l’héritage, érigé au rang de tabou inébranlable.

Il aura suffit qu’Amina Bouayach, présidente du Conseil National des Droits de l’Homme, «ose» aborder à nouveau cette question pour s’attirer les foudres du Parti de la justice et du développement. Amateur de polémiques qui font feu de tout bois, Abdelilah Benkirane n’a pas tardé à s’inviter dans la lumière médiatique de ce débat pour «recadrer» celle qui a osé remettre en question, résume-t-il dans un raccourci douteux, «la charia islamique».

Ainsi donc, d’un côté, on plaide pour la nécessité de l’amendement du régime successoral au Maroc pour que soit instaurée une parité entre hommes et femmes en matière d’héritage, on appelle à la prise en compte de la situation socio-économique des femmes qui aujourd’hui sont actives, on met en garde contre la féminisation de la pauvreté résultante d’un système discriminant à l’égard des femmes, on rappelle enfin qu’aujourd’hui au Maroc, pour protéger leurs filles, nombreux sont les pères à contourner cette loi et à procéder à des actes notariaux pour assurer la notion d’égalité dans l’héritage au sein de leur famille…

De l’autre, on balaie d’un revers de main méprisant tous ces exemples criants d’une même vérité, celle de la nécessité d’un changement pour mettre fin à une injustice récurrente au sein des familles, en clamant «il faut cesser de porter atteinte aux constantes religieuses des Marocains».

Un peu comme ce père de famille qui fait valoir son autorité paternelle en beuglant à sa progéniture que «c’est comme ça et pas autrement, parce que c’est moi qui le dit, alors tu fais ce que je dis et tu mouftes pas», une réplique qui ne souffre aucune réponse ni remise en question, Abdelilah Benkirane et ses acolytes, campés dans leur rôle de protecteurs de la vertu et de nos mœurs, entendent nous mettre dans la position de l’enfant qui n’a pas le droit à la remise en question.

Mais peut-on encore souffrir aujourd’hui que des débats sociétaux aussi importants, censés apporter des solutions concrètes à de nombreuses inégalités sociétales, soient ainsi avortés sous prétexte d’entorse à la religion par des pères la vertu qui, rappelons-le, sont avant toute chose des politiciens?

Car de l’avis des vrais experts en la matière, le référentiel religieux invoqué dans le cas de l’héritage a des limites. Ainsi, selon Abou Hafs, alias Mohamed Abdelouahad Rafiqui, penseur et chercheur en études islamiques, le taâsib, la règle d’héritage par abnégation, qui consiste à faire hériter l’homme le plus proche du côté de la mère ou du père, dans le cas où les filles n’ont pas de frère, «n’est évoquée ni dans le Coran, ni dans la sunna» et serait «plutôt du fruit de l’effort jurisprudentiel du fiqh». Alors pourquoi ne pas ouvrir ce débat et franchir ce cap, comme cela a été fait dans les années 1960 en Tunisie?

A la lumière de ce débat sur l’héritage, comme sur tant d’autres sujets que l’on n’ose plus discuter sous peine de se voir taxer d’hérétiques ou de menace aux constantes du Royaume par des politiciens travestis en hommes de foi, ce qui apparaît aussi clair que de l’eau de roche, c’est que l’on peut bien faire dire ce qu’on veut à la religion, la majorité d’entre nous n’avons pas les connaissances religieuses suffisantes pour démêler le vrai du faux, d’autant plus que l’on confond souvent sous nos cieux le référentiel religieux, avec les coutumes et les croyances.

On se contente d’un verset ou deux, clamé avec grande aisance face à l’assistance comme gage de notre savoir. Et le tour est joué. Peut-être serait-il temps pour certains d’admettre que tout ce qu’ils savent, c’est qu’ils ne savent rien… Une parole ô combien sage et que l’on doit pour la peine à un philosophe, Socrate. Tiens, parlons-en de la philosophie, cette matière cruciale pour le développement de la pensée critique, qui fait cruellement défaut à l’enseignement promulgué dans nos écoles, et qui, à mesure qu’elle se vide de sa substance, voit grandir la pensée superstitieuse et dogmatique.

Pendant ce temps-là, les inégalités, elles, prospèrent. Alors que faire? Résoudre ce problème tout en respectant l’esprit d’équité et de justice inhérente à la religion ou refuser le débat en frappant du sceau du tabou certains sujets, en invoquant une sacralité pourtant contestée?

Par Zineb Ibnouzahir
Le 03/07/2022 à 14h52