Après des années de contenu digital bien souvent débilisant, publié sans aucunes règles sur les réseaux sociaux par ceux qui se catégorisent «influenceurs», l’heure est enfin au règlement des comptes.
Le Fisc, qui œuvre depuis quelques années à identifier sur le web ces entrepreneurs resquilleurs à la déclaration de leurs revenus, est actuellement en train de les aviser du montant de leurs dus, en se basant, à leur grand dam, sur leurs relevés bancaires et les montants non déclarés qu’ils y observent.
Certes, il faut évoluer avec son temps et à chaque nouvelle génération ces nouveaux métiers. Il ne s’agit pas de dézinguer une nouvelle manière de travailler, un nouveau métier, mais plutôt de dénoncer cette manière de faire, qui consiste à vouloir le beurre, l’argent du beurre et le popotin de la crémière avec.
Car en plus d’avoir engrangé des revenus faramineux pendant cet âge d’or de l’influence 2.0 sur les réseaux sociaux, à coups de milliers de dirhams les cinq secondes de story instagram, sans parler des placements de produits à tout va qui tentent de se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas, des coups de cœur généreusement partagés avec la communauté, cette vocation qui tente de s’imposer comme une profession sans pour autant vouloir en épouser les contraintes, a fait beaucoup de tort, et à bien des niveaux.
D’un côté, ces influenceurs du XXIe siècle qui nous ont abreuvés de fake jusqu’à l’écœurement. De l’étalage de luxe au quotidien, de la thune à gogo, des voyages paradisiaques plusieurs fois par an, des fringues de marque qu’on porte à toutes les occas’, des palettes de make-up pour se tartiner la tronche du réveil au coucher, des voitures de rêve, des cadeaux qu’on reçoit comme ça, sans raison apparente, de grandes enseignes qui sont nos amis pour la vie, de la bouffe qui s’amoncelle sur les buffets parce qu’on le vaut bien… Cet étalage de richesses et de facilités, cette vie parfaite où le soleil brille tous les jours, a réussi à conquérir le cœur de bien des followers, accros à cette dose quotidienne de rêve, et dans le même temps, à susciter un énorme sentiment de frustration chez les plus jeunes et plus fragiles.
Résultat des courses: toute une génération littéralement scotchée à son écran de smarphone, qui s’imagine que son avenir se construit sur les apparences, et des gamines de plus en plus jeunes qui débarquent dans des cliniques esthétiques pour ressembler à leurs idoles. En espérant marcher dans leurs pas et épouser la même carrière, elles veulent avoir le nez de machine, la bouche de flana et les fesses de tartampionne, en étant complètement hermétiques au fait qu’elles veulent, la plupart du temps, reproduire des filtres qui n’ont rien d’humain.
Face à cette jeune génération avide de contenus «inspirants», ces simulateurs de vie parfaite ne sont pas les seuls à avoir fait leur beurre. Que dire des entreprises et des marques qui ont surfé sur cette déferlante en la nourrissant de plus belle. Car pourquoi payer le prix fort en empruntant les canaux classiques de la publicité quant on peut contourner les règles et s’offrir des pubs «impactantes» moyennant un gift?
Une dérive commerciale dangereuse qui a aussi touché la profession médicale. Si, fort heureusement, certains praticiens respectent encore le code de déontologie inhérent à leur profession en refusant d’opérer ces filles de plus en plus jeunes, ils sont pourtant nombreux à avoir profité de ce juteux filon, notamment en nouant des partenariats avec ces influenceurs en tous genres. Un petit repulpage des lèvres contre une vidéo de promotion de nouveaux soins, une lippo’ contre un live pour promouvoir une nouvelle machine… Voilà comment on contourne l’interdiction des médecins de faire de la publicité.
D’un autre côté, bien loin de ce monde à la perfection léchée, sur YouTube, on a aussi eu droit nous autres Marocains à un autre genre d’influenceuses: les ménagères de Routini el Yawmi (ma routine quotidienne). A l’opposé de leurs consœurs instagrammeuses, tiktokeuses, snapchateuses tout droit sorties du monde de Barbie, celles-ci ont vendu un autre genre de rêve à une autre cible. Des popotins qui s’agitent sur fond de chaâbi en passant la serpillère ou en faisant la vaisselle… Un fantasme très répandu à en croire le succès de ces vidéos.
De l’influenceuse lifestyle à la ménagère aux fesses rebondies, deux mondes que tout oppose mais fonctionnant pourtant de la même manière, à savoir une machine à engendrer du fric tout en vendant du fantasme.
Mais bonne nouvelle pour nous autres, commun des mortels, l’heure de la transparence des comptes a enfin sonné et avec elle, l’espoir d’une régulation du contenu dans cet espace de tous les possibles qu’est devenu le digital.