A-t-on encore besoin de voix qui nous rappellent les limites de nos réalités économiques actuelles? Oui, si on était dans le déni, or tout le monde les connaît et reconnaît. Nos besoins vont plutôt vers la proposition de scénarios de sorties de crise, des moyens à mettre en œuvre pour grappiller des points de croissance.
Le Maroc a réalisé des gains diplomatiques importants ces dernières années qui justifient un certain optimisme quant à l’issue du dossier du Sahara, concomitamment il a amélioré son appareil sécuritaire, ce qui est important dans la région et dans la nouvelle configuration géostratégique du monde. Que lui reste-t-il d’important à accomplir? Construire une économie plus robuste pour conforter sa stabilité politique.
La mission confiée à la Commission pour un Nouveau Modèle de Développement était justement de formuler les conditions d’une économie plus performante et plus inclusive. Elle a émis des recommandations et même allée plus loin en quantifiant ses ambitions: le taux moyen de croissance à réaliser devrait atteindre les 6%. Un taux capable d’améliorer nos conditions de vie de manière significative à terme.
Le gouvernement nommé en octobre 2021, au lieu d’adopter les recommandations de la CNMD dans leur ensemble, comme il était attendu, a préféré ne reprendre que la recommandation, chère au Roi, de l’instauration de l’Etat social et demeurer fidèle à l’ancienne politique budgétaire avec des objectifs de croissance moyenne minorés de 4% au lieu de 6%.
Ce débat sur le taux de croissance est-il devenu caduc au vu de la sécheresse et des conséquences de la crise en Ukraine comme semble le suggérer la sortie du Wali de BAM et certains membres du gouvernement, ou est-il toujours d’actualité? La question mérite d’être posée, car elle interpelle les limites de nos capacités de développement et nos ambitions futures en tant qu’économie émergente dans la région.
En d’autres termes, le Maroc a-t-il les moyens de ses ambitions, un taux de 6%, ou pas? Peut-il mobiliser les moyens pour atteindre cet objectif? Y a-t-il une fatalité des 4%?
La croissance est tributaire de la capacité d’un pays à mobiliser les ressources internes et externes réellement disponibles et en faire la meilleure utilisation. Le terme réellement ne renvoie pas à la situation existante, mais à un potentiel transformable en réalité.
Proposons quelques pistes pour les ressources.
La problématique d’une fiscalité plus équitable se pose avec acuité, car elle conditionne la mobilisation de ressources indispensables au fonctionnement de l’Etat et sa capacité à intervenir dans la sphère économique. L’équité n’est pas de faire payer encore plus ceux qui optent pour la transparence, mais ceux qui échappent à l’impôt. Je n’évoquerai pas le cas complexe du secteur agricole, ni des précaires du secteur informel, mais celui de corporations entières dont la contribution est insignifiante, d’entreprises et commerces ne participant pas à l’effort national. L’ensemble des recettes fiscales au Maroc couvrent à peine les dépenses de fonctionnement, en France, les recettes fiscales couvrent 95% du budget général de l’Etat.
L’élargissement de l’assiette s’impose aujourd’hui comme une évidence. Elle interpelle essentiellement la volonté de l’Etat à imposer ses décisions, à faire adhérer les corporatismes.
Jusqu’à présent, l’Etat complète ses besoins en ayant recours aux contributions des monopoles, le produit des privatisations et à l’endettement. Les deux derniers ne sont pas disponibles à l’infini et le premier a montré ses limites. On a fait cas dernièrement de la contribution d’un office à hauteur de 8 milliards de DH au budget de l’Etat, cela ne représente que 1,75% des recettes du budget.
Le système financier joue un rôle essentiel dans la mobilisation des ressources et leur distribution. Au Maroc, il a une réputation de solidité. Toutefois, il est appelé à diversifier son offre de financements et à fournir une explication à l’écart important persistant entre le taux directeur actuel de 1,5% et le loyer de l’argent payé par les investisseurs. Cela n’encourage pas l’investissement. Peut-être que la BAM a-t-elle des propositions en ce sens?
L’investissement privé, national et étranger, constitue un pari sur l’avenir. Il est tributaire de notre capacité à fournir les meilleures structures d’accueil, un environnement juridique transparent et prévisible, un secteur financier aux services abordables et des ressources humains formées. Le Maroc n’attire pas suffisamment d’investissements étrangers, comparativement à d’autres pays, alors qu’il se targue d’avoir des secteurs industriels très compétitifs. La future charte de l’investissement devra répondre à ces préoccupations.
Les variations climatiques vont faire perdre en moyenne 1,5 à 2 points de croissance à notre économie les prochaines années. D’autres pays connaissent le même phénomène. La solution est d’introduire plus de rationalité dans la gestion du secteur primaire et multiplier les efforts dans le secondaire et le tertiaire pour en faire les leviers d’une croissance élevée et stable.
Si on avait, à partir du mois d’octobre dernier, accéléré la mis en place de la réforme fiscale et du code d’investissement, on aurait très certainement eu plus de moyens financiers pour pouvoir faire face à la crise actuelle.
Un vieil ami, lauréat d’une grande école française, en charge d’un office public pour une longue période, avait pour habitude de répondre à mes questionnements sur la modicité des performances de sa boîte par un laconique «c’est plus compliqué que ça». Lassé par ma discussion, il a fini par ne plus m’appeler, et moi j’ai fini par bannir sa phrase de mon vocabulaire.
Le volontarisme, souvent confondu avec l'optimisme dans notre pays, n’a jamais été un vilain défaut.