Je me souviens du temps où les quotidiens n’évoquaient jamais les faits divers. On se disait «Le Maroc est un pays à part, ni hold-up, ni braquages, ni règlements de compte». On avait fini par croire que notre pays échappait à la violence générale existante normalement dans toutes les sociétés. On regardait les films américains et on se disait: «Ils sont très violents ces Américains! Ils sont tous armés et ils tirent comme ils respirent».
Nous étions à l’abri. Du moins le pensions-nous. En fait, la violence existait mais on n’en rendait pas compte dans les médias jusqu’au jour, où, au début de 1992, il y eut l’affaire du commissaire de police Mustafa Tabit qui avait fait de son appartement un studio pour séquestrer, violer des jeunes filles qu’il «offrait » à ses amis et filmait, à leur insu, leurs ébats. Grand scandale. Procès public long et sans complaisance suivi par la majorité des Marocains. Condamné à mort, il fut exécuté en septembre 1993. Stupeur et effarement dans la société marocaine. La colère de feu Hassan II avait été, rapporte-t-on, plus que terrible.
Depuis, on ne cache plus ce qui se passe. On a même tendance à exagérer les faits. Ainsi, avec l’évolution et l’importance prise par la société civile et les réseaux sociaux, on rapporte, on dénonce, on accuse, on porte plainte contre les pédophiles, les incestueux, les criminels en tous genres. La presse a constaté que ces rubriques sont très lues. Nous voilà alors traversés par la violence, la même qui sévit en Europe ou en Amérique avec, cependant, un bémol dans la mesure où les armes à feu sont interdites. Les malfaiteurs utilisent les sabres, les couteaux, les marteaux, tout ce qui peut entraîner la mort. On s’est mis à faire tomber certains tabous comme la pédophilie ou l’inceste, que ce soit à la campagne ou en ville. Des procès ont eu lieu. Des associations se sont constituées. On admet en fait que nous ne sommes pas une société parfaite et que le vice y sévit au même titre que la vertu. La violence est là et on ne peut plus l’ignorer.
Tanger est une ville étrange. C’est un port, une frontière, une porte sur l’Europe. Des gens y viennent dans l’espoir de traverser le Détroit de Gibraltar et de chercher du travail en Europe. Certains, de plus en plus rares, réussissent, d’autres y restent et traînent dans les rues. Ils ne sont pas forcément violents, mais l’insécurité est là malgré le travail de la police. Des bandes organisées passent à l’action. Cambriolage, vol, agression, etc. Dernièrement, un jeune couple a été massacré par trois voyous en pleine ville, dans le quartier Rmilet. Armés de sabres, ils ont tué l’homme qui s’est interposé entre eux et sa compagne qu’ils tentaient de violer. Blessée grièvement, elle est à l’hôpital. Cela s’est passé en plein jour. La promenade s’est transformée en tragédie. Personne n’a osé intervenir. Plus par peur que par indifférence. Les agresseurs étaient-ils des voleurs ou des «redresseurs de la morale perdue» ?
Certains jeunes mendient et, très souvent, deviennent agressifs. Ils ne supportent pas de ne pas jouir des mêmes choses que les autres. Les jeunes filles se déplacent en groupe ou alors en voiture. Il arrive qu’elles soient harcelées par des hommes qui se croient tout permis. D’où vient cette violence ordinaire? La faillite de l’éducation aussi bien de la famille que de l’école. Les disparités de plus en plus flagrantes entre les classes sociales. L’étalage arrogant des richesses. Les injustices de tout ordre. Bref, un dysfonctionnement de la société qui génère de la frustration et, par la suite, plusieurs formes et niveaux de violence.
La vigilance policière ne suffit pas. Déjà, les services de sécurité sont très performants et efficaces dans la lutte contre le terrorisme. Ils concentrent leur travail sur ce fléau dangereux. L’insécurité sociale s’aggrave. En fait, plus le pays se développe et se transforme, plus la violence se répand. Ce qui est sociologiquement normal, tout dépend des degrés de cette violence. Rien à voir avec le Brésil ou le Mexique où l’espérance de vie des gens des favelas et autres bidonvilles ne dépasse pas les vingt-cinq ans!
Reste l’éducation. Sans doute que les parents sont dépassés et n’arrivent plus à exercer sur leurs enfants l’autorité nécessaire ni à leur transmettre les valeurs fondamentales. L’école jouait ce rôle, encore faut-il que le corps enseignant soit assez motivé pour que la pédagogie des valeurs soit la base de tout enseignement.
La société civile fait un travail immense et formidable. Elle intervient après le drame. Elle répare et console. Que faire pour prévenir et pour lutter contre les tentations de violence, le fait d’accaparer par la force le bien d’autrui, le fait d’user des armes blanches pour violer et voler? Tout cela fait que la férocité de ces actions est effrayante. La répression sans rééducation n’aboutit à rien. Quand un homme sort de prison, souvent il récidive.
Il est temps d’admettre que la violence est souvent une réponse, une réaction pathologique provoquée par la frustration et l’hypocrisie générale. On ne naît pas violent, on le devient.
Il y a une douceur de vivre au Maroc. Elle est de temps en temps éclipsée par quelques faits divers sanglants, que ce soit à l’intérieur de la famille ou dans la rue. C’est une sorte de normalité malheureuse.