Un crime

Famille Ben Jelloun

ChroniqueJe rappelle ces évidences pour dire combien j’ai été choqué et aussi consterné par le fait que des individus, des Marocains, aient brûlé le drapeau national lors de manifestations à Paris le samedi 26 octobre dernier, en soutien aux prisonniers rifains. D’où vient cette inconscience?

Le 04/11/2019 à 11h23

Une nation a besoin de symboles pour exister et pour se maintenir comme patrie, comme foyer, comme mémoire d’un peuple. Porter atteinte à l’un de ses symboles est un crime, car c’est une tentative évidemment symbolique de vouloir saper son assise, lui retirer un pied et la rendre bancale. Ce n’est pas par hasard que la première chose qu’un soldat fait en reconquérant un morceau de territoire c’est d’y planter le drapeau de sa nation. C’est tellement important que les Américains, en débarquant sur la lune, avaient commencé par planter dans cette terre cendrée le drapeau de leur pays.

Toute victoire, politique ou militaire, s’exprime par la présence du drapeau. C’est ce même drapeau qu’on met en berne pour exprimer un deuil important qui touche toute la nation, c’est avec ce drapeau qu’on couvre le cercueil d’hommes et de femmes tombés dans le combat.

Je rappelle ces évidences que tout le monde connaît pour dire combien j’ai été choqué et aussi consterné par le fait que des individus, des Marocains, aient brûlé le drapeau national lors de manifestations à Paris le samedi 26 octobre dernier, en soutien aux prisonniers rifains.

D’où vient cette inconscience? D’où vient cette folie de mettre le feu à un des symboles essentiels de notre pays?

Cela vient tout simplement d’une absence totale d’éducation à laquelle il faudra ajouter un sens pervers de provocation banalisé déjà par certains manifestants d’Al Hoceima qui avaient brandi le drapeau de la défunte République du Rif.

L’éducation est la base de notre comportement. Quand elle n’a pas eu lieu, quand des parents et l’école ont failli à leur devoir, cela se traduit tôt ou tard par des comportements indignes et dangereux. C’est ce qui a été à l’origine des contestataires rifains dont certains ont brûlé le drapeau national.

Certes, les manifestations du Rif ont été très mal gérées par le pouvoir. Une responsabilité pèse et pèsera longtemps sur les autorités sur place qui n’ont pas su parler avec ces citoyens en colère. Ces autorités, n’ayant pas de sensibilité citoyenne, ont menacé les manifestants de les traîner devant la justice avant même que des actes répréhensibles aient été commis.

Mais cela est un autre problème. Le fait est que le Rif est une région particulière qui nécessite un traitement particulier.

Il suffit d’aller une fois dans le Rif pour constater combien les habitants se sentent isolés ou du moins pas aimés. De là à réclamer l’indépendance et vouloir renouer avec les années vingt, il y a une marge énorme qu’aucun Marocain ne devra franchir.

Aujourd’hui, des individus ignorants l’histoire de leur pays, ont commis l’irréparable. Mettre le feu à un passeport ou à un drapeau c’est déclarer la guerre à la légalité et à la légitimité nationales. Peut-être que, poussés par des manipulateurs, des mercenaires probablement payés par les ennemis de l’intégrité territoriale du Maroc, ces individus irresponsables n’ont pas mesuré la gravité de leur geste. Tant pis pour eux. Ils viennent de s’interdire à jamais le fait de mettre un jour les pieds au Maroc. Ils en souffriront car un pays, qu’il soit natal ou d’origine, vous suit partout où vous allez. Il sera toujours là, dans votre façon de marcher, de parler, de respirer. On ne se débarrasse pas des origines comme d’une peau artificielle. On ne jette pas ses racines dans la poubelle sans en subir les conséquences, psychologiques, sociologiques et surtout humaines. Les racines sont ce qui donne à un arbre sa station debout, solide et forte. Les couper, c’est accepter de vivre courbé jusqu’à la fin de sa vie.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 04/11/2019 à 11h23