Depuis quelque temps, des amis, des connaissances, des journalistes me posent la question «Que se passe-t-il dans le Rif ?». Les gens s’inquiètent parce qu’ils aiment bien notre pays et qu’ils craignent que les choses dégénèrent. Pays stable, un chef d’Etat exceptionnel, un peuple généreux, un pays ayant évité les dérives du fameux «printemps arabe», le Maroc est une exception dans un monde arabe en très mauvais état. Alors l’inquiétude et des questions sans réponses sont là. Moi aussi je suis inquiet.
Je me souviens d’un voyage dans cette région il y a une trentaine d’années. C’était pathétique. Rien ou presque rien n’avait été fait pour améliorer le quotidien d’une population qui se savait marginalisée par Rabat, oubliée et laissée à elle-même avec cependant une culture importante de kif. C’était un autre Maroc où la pauvreté et l’exclusion étaient comblées par une forte appartenance à l’identité rifaine.
L’histoire était passée par là et avait laissé des blessures et un sentiment d’injustice ou pire un sentiment de rejet. Je me souviens qu’il n’y avait pas le portrait de feu Hassan II dans les cafés, restaurants ou magasins, que les gens ne parlaient qu’en rifain et qu’une exaspération devant le visiteur dit de l’intérieur était perceptible. A l’époque, ceux qui ne travaillaient pas dans les champs du kif, partaient en Hollande, en Belgique ou en Allemagne.
Depuis, les choses ont beaucoup changé. Mais apparemment pas assez, pas dans le bon sens, d’où une colère à fleur de peau qui attend n’importe quel fait pour s’exprimer. Il y eut, le 30 octobre 2016, la très triste affaire de Mohsen Fikri (31 ans) pêcheur broyé par la presse hydraulique d’une benne pour sauver son poisson qui avait été saisi et jeté dans le camion d’ordures. Sa mort avait bouleversé tout le Maroc et bien au-delà. Une solidarité s’était exprimée un peu partout dans les villes marocaines, car cet homme, cette victime de l’arrogance et de la stupidité des forces de l’ordre, fut perçu comme un symbole d’un Maroc aux prises avec la précarité, avec les inégalités et l’injustice. La consternation et les réactions du peuple ont été remarquables. La justice s’est emparée de l’affaire et a dit son mot.
Ce fait horrible préparait le terrain à l’émergence d’une contestation notamment à El Hoceima avec l’entrée en scène d’un tribun (genre Mélenchon), Nasser Zafzafi. Il a su donner à des manifestations pacifiques une teinte idéologique et politique inquiétante. Le fait même d’avoir interrompu le prêche d’un imam pour faire son propre discours a prouvé que cet homme se voulait le leader d’une révolte où l’histoire ancienne fut convoquée, avec drapeau de la République du Rif et autres slogans politiques inadmissibles au moment où le principe de l’intégrité territoriale du royaume est au cœur des préoccupations de tous les Marocains. Il n’a gardé de la devise du pays que Dieu et a lancé le nom d’Abdelkrim Al Khattabi. Il a agité la foule en se basant sur des revendications raisonnables, mais derrière cette image du militant pour les droits et la dignité, on a vu une volonté de forcer le réel. Il ne faut pas non plus voir là «la main de l’étranger». C’est un leader qui connaît bien le mécanisme de la communication et sait comment utiliser la colère des gens. La justice dira son mot dans cette autre affaire.
Le désordre ne s’apaise pas par l’exercice de la force. On dit «les forces de l’ordre», mais il y a aussi la force et la détermination de vouloir vivre dans la dignité, avec un travail, avec des projets concrets, avec l’aboutissement de ce qui a été lancé en tant qu’investissements, etc. Le Rif, terre blessée, population quelque peu oubliée, ont besoin de réparation, autrement dit ont besoin que l’Etat réponde à ce que les gens réclament et revendiquent. Sinon, c’est le risque d’aventure dont on ne connaît pas ce qu’elle donnerait. Avant toute chose, le Rif a besoin d’être apaisé et cela sans recours à la force.