Ramadan, victoire de l’Esprit sur la matière

Le360

ChroniqueRamadan est synonyme de «grande bouffe», ce qui ne fait qu’aggraver et rendre malade le système digestif. C’est le mois où l’on prend le plus de kilos, où le cholestérol est en fête et le diabète fait des siennes. On devrait inverser le temps du travail: jeûner le jour et travailler la nuit.

Le 06/06/2016 à 12h11

Le jeûne du Ramadan, s’il est observé de manière stricte et sereine, devrait apaiser et améliorer l’être. C’est un moment qui devrait être consacré à la réflexion, à la méditation et au retrait du tapage quotidien de la vie dont le rythme est implacable. Retour sur soi, retour sur l’infini et option du silence et de la spiritualité. Une pause pour l’examen de soi, de ses défauts et de ses manques.

Jeûner n’est pas avoir faim et soif. Ce n’est pas être privé, voire puni. C’est un arrêt sur le chemin de la vie. Un mois par an à consacrer, non aux turpitudes et à la poussière de la vie, mais un mois à se retirer du vacarme et du bruit. Ce que fait l’être ne regarde que lui. Sa relation avec l’Esprit supérieur est quelque chose d’intime et de secret. C’est une tentative d’entrer dans la blancheur absolue de la solitude, là où l’on a renoncé à tout ce qui est matière et agitation.

Le jeûne du Ramadan doit être un moment privilégié pour passer en revue ses failles et faiblesses, ses mauvaises habitudes et ses certitudes. C’est une remise en question qui n’est imposée par personne et qui devrait changer l’être qui accepte son verdict. C’est l’occasion de lutter contre l’égoïsme, contre les mauvais penchants et l’amour excessif de l’argent et tant de paradis artificiels.

C’est l’élévation vers la spiritualité qu’aucune machine, aussi sophistiquée soit-elle, ne peut nous apporter. Le corps passe, l’esprit reste.Cette étape annuelle devrait être celle d’une grande sagesse, entourée de calme et de force intérieure.

Je dis "devrait" parce que, hélas!, rares sont ceux qui se plient à une telle discipline durant le mois du Ramadan.

Que voit-on? A quoi assiste-t-on?

En général il y a pas mal de bruit et de fureur. Le fait de casser les habitudes (surtout pour ceux qui ont une addiction, entre autres au tabac), de changer de rythme de vie et de lutter contre les tentations rend certains irascibles, intolérants, colériques et tellement susceptibles qu’il vaut mieux ne pas avoir affaire à eux. A cause du jeûne, certains bâclent leur travail ou en profitent pour ne pas le faire. Il faut saluer ici le courage des dirigeants de la RAM qui ont demandé au personnel navigant de ne pas jeûner durant les vols par mesures de sécurité. Le même conseil devrait être adressé aux conducteurs des trains, des camions et des gros transporteurs. 

Du coup, ceux qui jeûnent en râlant, font mal leur travail ; leur activité professionnelle en subit certaines conséquences. Le chauffeur de poids lourd perd de sa vigilance, l’artisan manque de ponctualité, de précision etc. Le jeûne est vécu par certains comme une privation. Du fait, la rupture du jeûne est synonyme de «grande bouffe», ce qui ne fait qu’aggraver et rendre malade le système digestif. Ainsi c’est le mois où l’on prend le plus de kilos, où le cholestérol est en fête et le diabète fait des siennes. On devrait inverser le temps du travail: jeûner le jour et travailler la nuit. C’est difficile de mettre sur pied un tel chamboulement. 

J’ai regardé l’autre jour un reportage sur une nouvelle mode en Europe: jeûner, non pas pour maigrir, mais pour reposer son corps et repenser la manière dont on le maltraite quotidiennement. Des gens s’inscrivent dans une sorte de clinique où on vous apprend à rééduquer votre estomac. Durant une quinzaine de jours, on boit trois litres d’eau par jour et on dîne avec un bouillon très peu calorifique. Ceux qui ont eu le courage de faire cette retraite perdent des kilos, certes, et payent l’équivalent de dix mille dirhams par semaine. Le tout est fait sous surveillance médicale. C’est une sorte de Ramadan laïc. Le fait de reposer l’estomac est accompagné de méditation sur la vie et ses excès, sur les mensonges de la matière par rapport à l’esprit. Une leçon inspirée du Ramadan tel qu’il a été instauré au début de l’islam.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 06/06/2016 à 12h11