Dans un roman «Une exécution ordinaire» (Gallimard 2007), Marc Dugain raconte l’histoire du naufrage du sous-marin nucléaire russe lanceur de missiles de croisière K-141 Koursk en mer de Barents le 12 août 2000. 118 marins sont morts. Des enquêtes ont été faites. Une seule version a été diffusée, celle officielle de M. Poutine. Cette tragédie a bouleversé la Russie, car, Poutine aurait pu sauver 23 marins qui avaient survécu à l’explosion, car ils se trouvaient à l’arrière du sous-marin. Mais pour des raisons de secret et de défense, il aurait préféré qu’ils ne sortent pas de cette fournaise pour témoigner sur les causes réelles de l’accident. C’est du moins ce que raconte avec beaucoup de détails et de précision Marc Dugain. Des centaines d’articles ont été écrits sur ce drame. Mais ce qui en ressort chaque fois, c’est le cynisme et le sang froid de Poutine qui n’a aucun affect, aucun scrupule.
C’est cet homme qui dirige aujourd’hui la Russie et participe avec énormément de moyens à la destruction du peuple syrien.
On a compris qu’avec Poutine, il vaut mieux être en bons termes. Il a réussi à redonner à la Russie la place et la puissance qu’elle avait avant. Il a fait oublier la période de cafouillage avec Gorbatchev et Eltsine. Il avait été vexé d’avoir été écarté de la scène internationale avec l’intervention française en Libye. Aujourd’hui, il a fait plier le pauvre Barak Obama et l’a figé dans un rôle passif au moment où Bachar Al Assad avait utilisé des armes chimiques contre son peuple en août 2013. Obama avait menacé d’intervenir, l’Europe aussi. La ligne rouge avait été dépassée. Mais il a suffi d’une grimace de M. Poutine pour que l’Amérique et l’Europe se fassent petits et laissent faire l’homme de Moscou au point où aujourd’hui, on ne sait plus si le peuple rebelle de Syrie se bat contre le dictateur Bachar ou contre M. Poutine.
Son véto est systématiquement opposé à toute résolution contre la Syrie. Il est maître du jeu. Comme l’écrit Le Monde du 14 décembre 2016, «Les Occidentaux se sont résignés à l’inéluctable, comme si la logique des blocs était toujours en place». La faiblesse des Européens et des Américains qui ont laissé tomber l’opposition démocratique syrienne, a ouvert la route aux Russes qui ont déployé tous les moyens pour sauver un régime méprisable, criminel et qui devrait un jour passer devant un grand tribunal, genre Nuremberg pour rendre des comptes devant l’humanité des massacres d’un peuple.
Certes, Philip Gordon, ancien conseiller d’Obama reconnaît que «la Syrie est la tragédie la plus grave depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le bilan est catastrophique». Mais le mal est fait. Et Donald Trump trouve chez Vladimir Poutine des qualités qui l’enchantent.
Reste la part prise par les Arabes dans cette tragédie. Le Hezbolah libanais est sur le terrain et fait la guerre aux opposants de Bachar ; il est l’outil armé de l’Iran. Ainsi des Libanais tuent leurs «frères» syriens pour rendre service à la puissance chiite qui soutient la minorité alaouite qui domine la Syrie sans aucune légitimité depuis 45 ans.
La Jordanie et le Liban accueillent les réfugiés. L’Irak est empêtré dans la guerre que lui impose Daech. L’Egypte remplit ses prisons pour tous ceux soupçonnés de la moindre opposition à la politique de Sissi. Quant aux Etats du Golfe, chacun joue sa partition selon ses intérêts.
La sortie du premier ministre désigné Benkirane contre M. Poutine n’était pas très diplomatique, mais au moins il a dit ce que beaucoup de Marocains pensent. Il s’est demandé «pourquoi la Russie détruit la Syrie de cette façon? Ce qu’elle fait dépasse toutes les limites humaines». Cette indignation est normale. Mais le Maroc ne peut pas se payer le luxe de contrarier l’homme, actuellement, le plus puissant du monde.
Vladimir Poutine a appliqué à Alep la même stratégie que celle de Staline quand il a décidé de punir le peuple ukrainien: il a affamé. Ainsi sont morts de millions d’Ukrainiens dans le silence planétaire. Aujourd’hui, Bachar et ses fidèles exécutent à longueur de journée les hommes valides qui ont pu échapper aux bombes sur Alep. Pendant ce temps-là, Daech revient à Palmyre, détruit les monuments et les temples et enregistre une nouvelle victoire.
Bachar ne tombera pas parce qu’on lui fait la morale. Il est solide et puissant parce qu’il appartient à un clan, un clan de voleurs et d’assassins. Ils savent, lui comme ses adeptes que faire la moindre concession c’est accepter de disparaître. Or, M. Poutine veille, pas par sympathie pour cet assassin de son peuple, mais parce qu’il se sert de la Syrie pour dominer tout ce qui se trame au Proche-Orient.