Que s’est-il réellement passé pour que l’Espagne se déchaîne de manière féroce contre le Maroc? L’épisode de l’accueil sur son sol sous une fausse identité d’un criminel, ennemi juré du Maroc, me paraît mince par rapport à la réaction disproportionnée et violente du gouvernement espagnol. Le fait qu’un eurodéputé espagnol, Jordi Cañas Pérez propose un projet de résolution pour condamner le Maroc va au-delà des faits et de tout ce qu’il s’est passé le 17 mai dernier. Il est poursuivi pour “violation de la convention des Nations Unies pour les droits de l’enfant” ainsi que de l’“utilisation par les autorités marocaines de mineurs dans la crise migratoire à Ceuta”.
Le vote a été contre le Maroc.
Cette condamnation est très grave. 397 députés européens sur 705 ont suivi l’Espagne. Il n’y a pas de quoi pavoiser. Par ailleurs une journaliste espagnole a posé au porte-parole du gouvernement Biden une question vicieuse, à savoir si le nouveau président ne devrait pas revenir sur la décision de Trump, reconnaissant la marocanité du Sahara.
Là, l’Espagne non seulement veut punir le Maroc, mais aller plus loin et impliquer Bruxelles et l’Amérique dans sa démarche de vengeance. Tout cela doit venir de loin, tout cela nous dit que la haine actuelle a des racines profondes dans ce pays où on ne supporte pas Los Moros, et ce, depuis qu’Isabelle La Catholique avait dirigé les opérations de l’Inquisition après la chute de Grenade en 1492.
Je pensais que ce souvenir avait disparu. J’osais croire que l’Espagne démocratique allait faire du Maroc son meilleur voisin, son meilleur ami, son allié.
Mais les ratonnades à El Ejido en 2000, où la chasse aux Moros était devenue un sport populaire, depuis les vexations, les humiliations et les mauvais traitements dont ont été victimes les Marocains résidants à l’étranger devant traverser l’Espagne pour rentrer chez eux, nous avons appris que la rancune espagnole était tenace et qu’il subsiste un racisme profond, aussi bien dans les milieux populaires que dans une grande partie de la classe politique.
Je me demande si notre ami Felipe Gonzalez est intervenu pour calmer cette rage.
Je ne sais pas si la diplomatie des coulisses a pu faire quelque chose pour ramener à la raison des politiques qui veulent à tout prix nuire au Maroc, à son image, à ses valeurs et à son attachement à l’intégrité territoriale.
Je me demande aussi si la France a essayé de raisonner l’Espagne. Apparemment rien n’a été fait. Il faut dire, et cela est désolant, que notre ami Macron n’a pas une grande sensibilité maghrébine. Il a voulu apaiser les tensions persistantes entre son pays et l’Algérie, sans vraiment réussir. Je sais que cette région ne l’inspire pas ou du moins n’est pas une de ses priorités. Pour le moment, la seule chose qui l’intéresse, c’est sa réélection.
Plus le Maroc avance, malgré les difficultés, les inégalités, plus ses voisins de l’Est et du Nord sont inquiets et consolident leur haine.
Le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, n’est pas éternel. Dans deux ans, il y aura de nouvelles élections. Des personnalités de son parti l’ont désavoué. Non seulement il a porté atteinte à un partenariat qui fonctionnait bien, mais il a radicalement changé une vieille tradition, celle d’une neutralité bienveillante dans l’affaire de l’intégrité territoriale. Le pouvoir algérien a dû être assez persuasif et la propension à conspirer contre les intérêts du Maroc doit être suffisamment tenace, sinon comment comprendre que Pedro Sanchez ait accepté de mouiller l’Espagne dans une affaire lourde de conséquences, en acceptant d’accueillir sur le sol de son pays un individu poursuivi pour des crimes, et ce, sous une fausse identité?
En faisant cela, il savait pertinemment qu’il allait déclencher une grave crise avec le Maroc. Il le savait et il l’a fait. L’affaire des migrants à Sebta est arrivée après.
Si le Maroc était aussi mercantile que les Turcs, il aurait plutôt menacé d’ouvrir les frontières du détroit de Gibraltar, ce qui aurait permis à des centaines de milliers de migrants d’envahir les côtes espagnoles. Il ne l’a pas fait. Cependant il a été puni comme s’il l’avait fait.
C’est peut-être le moment pour le Maroc de réclamer officiellement la récupération de deux villes occupées depuis cinq siècles. Sebta et Melilla sont marocaines. L’occupation s’appelle colonialisme. Si l’Europe consent à accepter qu’un de ses Etats membres puisse poursuivre une colonisation anachronique, si elle laisse faire en incluant ces deux villes marocaines dans l’espace Schengen, imposant aux Marocains un visa pour y accéder, si tout cela se passe comme c’est prévu, alors, il n’y a rien à attendre de la démocratie européenne. Il est temps que le Maroc reconsidère la stratégie de sa diplomatie et qu’il sache qu’il ne lui faut compter que sur lui-même. Quant aux amis… L’ombre de la trahison est là.