Liberté!

Famille Ben Jelloun

ChroniqueLa liberté de bouger, de voyager, ou de ne pas voyager, est une valeur précieuse. J’ai connu ce sentiment d’étouffement, de la difficulté de respirer, de trouver mes habits étroits. La France était devenue une immense prison, et le Maroc, simplement inaccessible. D’où le sentiment d’avoir été privé de liberté.

Le 31/01/2022 à 11h00

Les poètes l’ont chantée, les politiciens l’ont vendue, tout le monde l’aime et se l’arrache. Mais un virus invisible nous l’a confisquée, nous empêchant de bouger.

L’annonce de l’ouverture des frontières a opéré en moi une sorte de soulagement et de libération, comme si j’étais tenu en prison depuis un peu plus de deux mois. Evidemment, je n’étais pas en prison. J’allais et venais selon mes désirs, mais un voyage m’était interdit: Paris vers le Maroc. Tout en comprenant cette mesure accompagnant l’état d’urgence sanitaire, je ne la tolérais pas. On a réduit au chômage des centaines de milliers de citoyens qui vivent du tourisme, surtout durant les fêtes de fin d’année. Cela a été dit et redit, je ne reviendrai pas là-dessus.

Des solutions étaient possibles avec une vigilance accrue et un respect rigoureux des règles. Mais on a voulu abattre la mouche avec un bâton qui a cassé le bras du malheureux sur lequel cette mouche s’était posée.

Gouverner, c’est prévoir. Certes, mais c’est aussi avoir de la souplesse et de la confiance dans le peuple. Je dis qu’on aurait pu éviter ces mois de crise économique qui ont désespéré des familles entières.

Sur un plan individuel, j’ai découvert le paradis qu’est la liberté. Oui, la liberté de bouger, de voyager, ou de ne pas voyager, est une valeur précieuse. J’ai connu ce sentiment d’étouffement, de la difficulté de respirer, de trouver mes habits étroits. La France était devenue une immense prison, et le Maroc, simplement inaccessible. D’où le sentiment d’avoir été privé de liberté.

Quand je pensais à mon pays, à son soleil, à l’air qu’on y respire, à ses fruits et légumes, aux visages amis, et que je savais qu’il m’était interdit de les voir, je pestais dans mon coin, sachant que cela ne servait à rien.

J’évoque les fruits et légumes, parce qu’en hiver, ils n’ont pas le même goût qu’au Maroc. Oui, on peut revendiquer la liberté d’aller au Maroc pour profiter de son soleil et de la qualité des choses, sa qualité de vie qu’on nous envie.

Comme tout le monde, je spéculais sur l’ouverture des frontières, l’attestation de mes trois vaccinations en main, confirmée et consolidée par un test PCR négatif. Mais cela ne suffisait pas pour convaincre le conseil scientifique d’ouvrir les frontières.

Ce qui est curieux, c’est que le variant Omicron, s’est révélé tout seul chez une femme qui n’est pas venue de l’étranger. La suite des contaminations est connue, heureusement sans gravité.

Je récitais le poème de Paul Eluard «Liberté» qui se termine par ces mots:

« (…) Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

Liberté.»

Ainsi, le premier des droits de l’homme c’est la liberté. Ce que Montesquieu définit dans «De l’esprit des lois» en ces termes: «la liberté philosophique consiste dans l’exercice de sa volonté (…) La liberté politique consiste dans la sûreté, ou du moins dans l’opinion que l’on a de sa sûreté».

Dans un autre registre, le poète surréaliste André Breton, rappelle que «l’idée de liberté est une idée pleinement maîtresse d’elle-même, qui reflète une vue inconditionnelle de ce qui qualifie l’homme et prête un sens appréciable au devenir humain.»

Faire l’expérience d’être privé de liberté, même pour des raisons sanitaires et compréhensibles, n’empêche pas le sentiment négatif de se sentir acculé à être comme un oiseau auquel on a coupé les ailes. L’idée de pouvoir aller n’importe où pour le seul plaisir d’une volonté d’aller n’importe où, sans raison, est importante. Elle nous constitue en tant qu’individu reconnu et responsable.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 31/01/2022 à 11h00