Même avec toute la bonne volonté du monde, il est difficile de porter un regard «placide» sur la manière avec laquelle le pouvoir algérien prépare le 31ème sommet arabe en Algérie. On est déconcerté par tant d’incohérences et toute cette agitation autour de l’événement.
Des préparatifs marqués par une pléthore de déclarations, sur fond d’un pouvoir caricatural avec une mixture 4% civile et 96% militaire. Tout le monde jacte autour du sommet supposé «rassembleur»: le président Tebboune, le ministre des Affaires étrangères Lamamra, l’envoyé spécial toqué Belani et tous les médias relevant des différents clans des généraux.
Une communication chaotique selon les humeurs des «barbons en uniformes». Ni leader, ni leadership, ils veulent tous tenir le guidon, le volant ou la barre de l’Algérie. Et évidemment, quand il y a trop de mains sur un volant, le véhicule se renverse… tombe dans le ravin… ou va droit dans le mur. C’est ce qui arrive aujourd’hui à ce pays martyrisé.
Un grand malaise entoure ce sommet «prévu» les 1er et 2 novembre. Entre déficits logistiques, problèmes de sécurité et instrumentalisation de l’événement par les généraux, le doute s’est installé et la confiance vacille. La Ligue arabe et la communauté internationale scrutent ces préparatifs qui renseignent surtout sur la grave crise politico-institutionnelle, la crise de gouvernance et la diplomatie décousue et à vau-l’eau de ce pays.
Un sommet entouré d'incertitudesQui croit vraiment en l’efficacité, voire l’utilité, de ce sommet? Encore moins sa réussite? Avec une maison fissurée et délabrée, comment le pouvoir algérien ose-t-il prendre la posture du «rassembleur», du «fédérateur» qui ne chercherait que du «bien» à la nation arabe?
La ligue arabe a été créée le 22 mars 1945 au Caire par sept pays fondateurs. Le premier sommet a eu lieu en 1956 à Beyrouth. Le Maroc l’a intégré en 1958. Or l’histoire ne se rappelle pas d’un tel charivari autour de questions futiles de forme, montées en épingle par la junte. On évoquera quelques exemples.
Lors des sommets antérieurs, le pays, la ville et la date étant déterminés, le secrétariat de la Ligue travaillait, dans un cadre apaisé, avec le pays organisateur. Avec la junte algérienne tout cela n’est pas possible.
D’abord, la date du sommet a été reportée deux fois à cause de la pandémie. Entre nous, cela avait arrangé de nombreux pays arabes car le tropisme iranien des généraux est devenu très inquiétant. Le sommet, qui devait se tenir au mois de mars (conformément à l’annexe de la Charte adoptée en l’an 2000 sur la date et la périodicité) a vu sa date modifiée et fixée au mois de novembre 2022. La junte a multiplié les suppliques et les harcèlements pour transformer l’humiliation de ce report inédit en une date coïncidant avec l’anniversaire de la «révolution algérienne», qui ne signifie plus rien pour la jeunesse algérienne opprimée.
Concernant la ville devant accueillir le sommet, rien n’est fixé. Alger ou Oran? Il y a encore des incertitudes sur la sécurité dans la capitale, ce qui inquiète le secrétariat de la Ligue arabe.
Pour ce qui est de la participation (les membres de la Ligue arabe étant 22), on ne discutait pas, avant, de qui il fallait inviter. Sauf que depuis 11 ans, la Syrie est suspendue en raison des exactions du régime syrien contre son peuple. Son retour ne fait pas l’unanimité.
Mais contre la volonté commune, la junte a tenu mordicus à inviter Bachar Al Assad, non seulement en raison des similitudes entre les deux dictatures, mais aussi pour agréer les mollahs de Téhéran. Nombre de pays arabes ont dit non à l’axe Alger-Damas-Téhéran, qui n’est qu’un grossier «entrisme» ou «noyautage» de la Ligue arabe par Téhéran.
Le pouvoir algérien s’est également agité dans tous les sens pour «bricoler» une formule insidieuse afin de faire participer ses mercenaires de Tindouf. Ramtane Lamara a même déclaré en novembre 2021 devant un conclave de diplomates algériens que le prochain sommet de la Ligue arabe sera celui «de la cause sahraouie». Là aussi, colère et un grand non tranché et catégorique de la Ligue arabe. On a aussi voulu forcer la Ligue pour que la carte du Maroc soit amputée. Là encore, refus net!
Pour compenser son impuissance à organiser le sommet sans le Maroc, la junte a fomenté toutes sortes de provocations, signées Lamamra, Belani (celui qui se shoote aux «adjectifs») et autres voix de propagande. L’objectif était d’amener le Maroc à sortir de son flegme pour qu’il envisage, éventuellement, le «boycott» d’un sommet d’ailleurs très mal engagé. Mais le Maroc, force tranquille, est resté impassible.
Mieux que cela, il est très fort probable que le roi Mohammed VI participe à ce sommet. Son déplacement à Alger est tellement attendu qu’il constitue l’indicateur de performance du sommet de la Ligue arabe. A tel point que nombre d’observateurs estiment que le niveau de représentation à ce sommet est intimement lié à la présence du roi du Maroc.
Que cherchent finalement les généraux algériens?On s’est donc retrouvé avec les préparatifs tordus d’une réunion qui n’a plus d’âme, ni de contenu et empêtrée dans un psychodrame autour de questions de forme. Quid des objectifs de la Charte de la Ligue des Etats arabes et des dossiers de fond visant le développement socioéconomique, la coopération raisonnée entre pays frères, la paix et la sécurité du monde arabe? Cela n’intéresse absolument pas les généraux.
Jusqu’à ce jour, on ne parle pas encore des travaux du sommet. Mais le pouvoir algérien a réussi la prouesse de transformer des questions de forme en des questions de fond… Toute cette agitation parle plus de la crise algérienne (en l’absence d’un leader éclairé montrant la bonne direction) que des problèmes du monde arabe.
Alors à quoi va servir ce sommet? Ce sommet est, déjà, présenté par la junte comme «une victoire diplomatique» contre le Maroc. Rien que ça! C’est leur bataille de Stalingrad! On se demande où est la performance. Le Maroc n’a fait que défendre son intégrité territoriale et a eu gain de cause. Et il n’a mené aucune action pour empêcher la tenue du sommet en Algérie.
Pour la junte, rien que la «tenue» de la réunion (peu importe ses résultats!) est déjà une finalité, un objectif, un point d’arrivée et un achèvement. Les vieux galonnés veulent surtout un «album photo» de la cérémonie d’ouverture pour leur propagande et qu’ils exploiteront jusqu’à l’usure.
Quant aux résolutions du sommet -conformes aux buts de la majorité des pays de la Ligue, elles peuvent déjà être considérées comme complètement opposées aux objectifs d’Alger, isolé au sein de cet aréopage.
Que cherchent finalement les généraux algériens avec leur alliance avec l’Iran et le Hezbollah? Avec leur achat des drones iraniens, également pour en équiper le Polisario? Avec leur soutien fourbe à l’Ethiopie contre l’Egypte? Avec leur soutien des Houtis chiites, bras armé des mollahs contre le Yémen? Avec leur ingérence et exacerbation des divergences entre les frères libyens? Avec leur vassalisation de la Tunisie contre le Maroc? Avec leurs menaces contre la Mauritanie pour l’éloigner du Maroc? Avec leur dénigrement du rôle de l’Egypte pour rapprocher les factions palestiniennes? Avec leur dénonciation «à la tête du client» de la normalisation avec Israël?
Un sommet utile pour leur propre agenda. Rien d’autre. Tout cela est en lien avec leur survie au pouvoir. Ils «vendent» ce sommet comme un événement qui les légitimerait internationalement. Une prouesse diplomatique. Alors qu’ils en ont hérité par la seule grâce de la rotation alphabétique. Après l’Algérie, le Djibouti accueillera la prochaine édition du sommet de la Ligue arabe. Il est fort à parier que l’édition de Djibouti sera mieux réussie que celle d’Alger. Le tout dans le calme et la dignité.
Dans cette quête effrénée de légitimation, la junte instrumentalise aussi les invitations qu’elle a adressées à Antonio Guterres, au président sénégalais Macky Sall, président de l’UA, au chef de l’Etat azerbaïdjanais, Ilham Aliye, président du Mouvement des Non-alignés, allié et très proche ami d’Israël. Big paradoxe!
Mais les généraux restent insatisfaits car ils auraient aimé aussi inviter l’Iran, le Venezuela, la Syrie, Cuba et aussi les mercenaires de Tindouf.