On ne l’a peut-être pas assez remarqué mais la plupart de nos problèmes n’ont rien à voir avec nous.
Nous les subissons, ces vents contraires, nous essayons de nous y adapter mais ils ont pris naissance loin de nos rivages– ce qui ne les empêche pas de nous souffler violemment au visage et de faire voler au loin nos haïks, burnous et taguias.
Les Russes se formalisent de ce que certains Ukrainiens veuillent intégrer l’OTAN, l’ennemi juré de la Moscovie –et les voilà qui déferlent dans les plaines fertiles qui nourrissent une bonne partie du monde. (Par parenthèse, le drapeau ukrainien, une bande jaune sous une bande bleue, figure un champ de blé sous un ciel sans nuage.)
Qu’avons-nous à voir avec ces bisbilles slaves? Et pourtant, nous allons peut-être bientôt manquer de l’essentiel: notre pain quotidien, à nous promis par le Dieu des chrétiens, qui est plus que jamais deus absconditus ces jours-ci. Il est sans doute trop occupé à essayer de réconcilier le patriarche moscovite de l’église orthodoxe et son homologue ukrainien.
Le même conflit entre l’Otan et la Russie nous privera peut-être du carburant sans quoi rien ne carbure: le diesel. Encore une fois, qu’avons-nous à voir avec cette ténébreuse affaire où les uns prétendent dénazifier Kiev et les autres traitent de nazi le maître du Kremlin? S’il faut à tout prix parler d’un Autrichien, nous préférons Mozart à Hitler; en avant la musique et donnez-nous de la brioche dorée pendant qu’à la station-service le préposé fait le plein.
La Chine, c’est loin. Mais voilà qu’un Asiatique inscrutable, forcément inscrutable, décide de fermer Shanghaï et Pékin au lieu de reconnaître que son vaccin n’est pas très efficace et, toute honte bue, de commander un milliard de doses de […]. (Je laisse ici un blanc pour éviter qu’en-dessous de cet article n’éclate une polémique entre partisans de Pfizer, thuriféraires de Moderna, inconditionnels d’Astra-Zeneca et fanatiques de la tisane.)
Bref, Xi Jinping ferme la Chine et nous allons bientôt manquer de tout, en particulier de chauffe-eau tueur à gaz (sans gaz, vu l’Ukraine), de jouets étouffe-pékin et de babouches multicolores en plastique. Qu’avons-nous fait au Ciel pour qu’un fils du Ciel ait tant d’influence sur notre vie quotidienne?
Les acteurs turcs entament une grève générale et c’est la désolation chez nos bonnes; Pablo Escobar décide d’éviter Tanger pour acheminer sa poudreuse vers l’Europe et nos fils de bonne famille ont la narine en deuil; le Mexique cesse d’exporter sa tequila et c’est la ruine des rooftop de Casa. Les exemples sont innombrables de cette dépendance aux importations.
En tant qu’économiste, je sais bien que le commerce international apporte la prospérité à tous –et qu’il adoucit les mœurs, merci Montesquieu. Il n’est pas question de revenir à l’Albanie totalement autarcique du regretté Enver Hoxha– une seule usine fabrique toutes les chaussures du pays et il n’y a que deux modèles: un pour les hommes, un pour les femmes. Il n’est pas question de ressusciter la Roumanie morte de froid sous Ceaucescu –obligation de mettre le thermostat à 16 degrés pour économiser le gaz. Mais enfin, il doit bien y avoir une position raisonnable, entre autarcie impossible et dépendance totale?
C’est pourquoi je propose la création d’un ministère chargé d’agir pour plus d’autarcie. On appellera le titulaire “monsieur le ministre du NHNCMQM”– Ni Hoxha Ni Ceaucescu Mais Quand Même…
PS: Le correcteur me fait remarquer que Pablo Escobar est mort en 1993. Et alors? Il dirige son empire de là où il est, avec l’aide de Belzébuth.