«Les cons osent tout, c’est même à cela qu’on les reconnaît», disait Michel Audiard.
S’il avait connu les marocanologues, il aurait certainement ajouté à sa panoplie de bons mots la phrase qui sert de titre ce billet.
– Tu exagères, me reprochez-vous.
Pas du tout. Jugez-en vous-mêmes.
Un vendredi de février. J’arrive à l'université pour corriger les essais que mes étudiants m’ont remis à l’issue de mon dernier cours. Mais dans le hall, une affichette attire mon attention.
C’est un symposium où des politicologues présentent leurs travaux en cours. Coïncidence: le premier papier qui sera présenté traite du Sahara marocain.
Intrigué, je change mes plans et vais m’installer dans l’amphithéâtre, tout là-haut. Tendons l’oreille– la bonne.
Le chercheur concerné se lève et entame son laïus. Tout de suite, je suis gêné (je dirai plus loin pourquoi); mais après quelques instants, c’est un sentiment d'incrédulité qui m’envahit. En effet– accrochez-vous, les gars– voici le syllogisme qui se dessine sur l’estrade:
1. Le Maroc organise régulièrement des élections à tous les niveaux (municipales, législatives, référendum, etc.).
2. Le Polisario n’a jamais organisé la moindre élection.
3. Conclusion: le Polisario est une organisation démocratique et le Maroc une affreuse dictature.
Aristote, réveille-toi, ils sont devenus fous! La logique marche sur la tête.
Lorsque la présentation est finie, je suis le premier à lever le doigt pour la commenter. Je commence par dire que j’ai été gêné d’entendre les expressions “occupation“, "lutte légitime du Front Polisario", "marginalisation des Sahraouis": le chercheur a le droit de les utiliser dans un meeting politique mais pas dans une université: c’est de l’idéologie, pas de la science, et seule la science a droit de cité dans une université.
Mais surtout, je lui demande si on peut ainsi résumer son travail: le Polisario est une organisation démocratique parce qu’il n’organise jamais d’élection.
Après quelques instants d’hésitation, le jeune homme fait oui de la tête.
Je suis abasourdi. Quand même, il y a de quoi embaumer le gus et l’exhiber pour l'éternité au Musée de l’Homme, section "Ceux qui osent tout".
Résumons. Les Sahraouis de Laâyoune ou Dakhla votent régulièrement, ils ont participé au référendum de 2011 sur la nouvelle Constitution (qu’ils ont approuvée), ils sont représentés dans les conseils communaux, dans les régions, au Parlement. Ceux des camps de Tindouf n’ont jamais vu un bulletin de vote de leur vie. Et ce sont ces derniers qui vivent en démocratie!?
Je conclus en demandant au chercheur s’il a l’intention de proposer la suppression de toutes les élections aux Pays-Bas pour faire de son pays une vraie démocratie– ce serait la conclusion logique de sa thèse. C’est à son tour de froncer les sourcils: il n’avait jamais pensé à ça. C’est classique. Autant ils sont péremptoires en ce qui concerne l’Empire chérifien, autant ces marocanologues deviennent nuancés quand il s’agit de leur propre pays.
En quittant l'amphithéâtre, je me fis la réflexion amère que voici: «Quoi qu’il fasse, le Maroc a toujours tort aux yeux des marocanologues.» Mais arrivé à mon bureau, je réalisai que cette proposition est équivalente à celle-ci: «Quoi qu’ils disent, les marocanologues ont toujours tort.» C’est une consolation…