Je me trouvais lundi dernier à La Haye pour la réunion bimestrielle de la commission UNESCO des Pays-Bas. Mes collègues bataves se congratulaient: la ville d’Utrecht venait d’être nommée "ville de littérature" par l’UNESCO. Hourra!
Au cours de la conversation qui s’ensuivit, on me demanda s’il ne serait pas judicieux d’inciter une cité marocaine à poser sa candidature, ce qui lui permettrait de développer ses liens avec les 64 déjà classées "villes de création" par l’organisation internationale. Certes Tétouan figure sur ladite liste mais c’est au titre de l’artisanat et du folklore. Ça fait un peu vieillot… Il nous faut du vif, du moderne, de la littérature de haut vol.
Bien. Une "ville de création littéraire" au Maroc, c’est un joli projet. Mais laquelle? Mes collègues me regardaient, une tasse de café à la main.
Je pensai tout de suite à ma bonne ville d’El Jadida, où j’ai grandi (ah, la plage, la cité portugaise, le moussem de Moulay Abdellah...) mais qui est surtout l’endroit où Driss Chraibi et Abdelkebir Khatibi virent le jour, respectivement en 1926 et en 1938. Pas mal, non?
Mais un petit diable me souffla dans l’oreille que les gens de Fès pourraient trouver à y redire. Ces deux grands écrivains sont nés dans les Doukkala, certes, mais tous deux sont d’ascendance fassie. Et la capitale spirituelle n’a-t-elle pas fourni moult grands noms à la littérature marocaine?
Mais voilà qu’un autre petit diable, vêtu en toréador, s’empara de mon autre oreille pour y crier:– Et Tanger? Le premier roman marocain, Mosaïques ternies, n’y fut-il pas écrit en 1932 par un certain Abdelkader Chatt, dont la famille possédait la première auto-école du Maroc espagnol? (Merci pour le détail qui tue.) Et puis Tanger, n’est-elle pas la ville mythique où s’installa la beat generation? William Burroughs, Jack Kerouac, Allen Ginsberg et puis Tennessee Williams, Brion Gysin, Paul Bowles... ce n’est pas rien, non?
Tous ces petits diables disparurent, effrayés, quand ils entendirent la grosse voix de Belzébuth me hurler en pleine face:– Et Casablanca? Tu nous fais suer avec tes villes antiques, pour ne pas dire décadentes! C’est à Casa que ça se passe en ce moment. Où sont les éditeurs, les imprimeurs, les critiques et auteurs, sinon à Casa?
La tête me tournait. Et Rabat? Et Marrakech? Et Midelt (je ne plaisante pas, on y trouve l’un des plus attachants écrivains marocains)? Et le Rif ? Choukri n’était-il pas Rifain? Et Tafraout, qui a produit Khaireddine?
Mes collègues attendaient patiemment. J’eus une inspiration:
– Pourquoi pas Amsterdam? On y trouve une bonne dizaine d’écrivains marocains...
Éclat de rire général.
– Il y a un problème, camarade: Amsterdam n’est pas marocaine. Pas encore.
C’est alors que je trouvai la solution:
– Je vais demander à le360.ma de lancer un référendum auprès de ses lecteurs: quelle ville le Royaume doit-il proposer à l’UNESCO pour ce club prestigieux?
Envoyez-moi vos votes motivés, amis lecteurs. Je ferai le point la semaine prochaine.