Ce billet est le 400e que j’écris pour Le360. Cela fait des semaines que je guettais la date et, en accord avec le directeur de la publication, j’avais décidé d’en faire un feu d’artifices d’anecdotes, de bons mots et de plaisanteries, avec rappel des meilleurs moments des sept dernières années, pour fêter dignement l’événement. J’avais déjà commencé d’écrire cet article «historique».
Le sort en a décidé autrement. Ma mère est morte samedi dernier, du Covid, et nous l’avons enterrée dimanche, à El Jadida. Les choses ont pris une toute autre couleur. Qui peut avoir le cœur à plaisanter dans ces circonstances? Mors, ultima ratio… Tout le reste semble soudain sans importance. «Nous sommes peu de chose», me dit un cousin devant le linceul qu’on recouvrait de terre. La formule est connue, la remarque est banale –mais elle prend une dimension de criante vérité quand c’est devant nos yeux que cela se déroule.
Que dire alors qui n’ait été dit cent fois, mille fois? Qu’il faut cueillir le jour –«la merveille est dans l’instant»–, qu’il faut pleinement goûter la chair de la prune qu’on déguste, qu’il ne faut pas remettre à demain le voyage dont on a toujours rêvé, qu’il ne faut jamais cesser d’apprendre, de lire, d’écouter de la grande musique, de pousser la porte de ce musée que nous n’avons pas eu le temps de visiter? Qu’il ne faut jamais perdre l’occasion de faire un compliment, de dire aux proches combien ils comptent, d’accomplir des actes de pure gentillesse?
Tout cela est vrai. Mais la plus grande leçon, et elle s’imposa à moi sur le chemin du cimetière, c’est qu’il ne faut jamais confondre l’essentiel et l’accessoire. Que de temps nous perdons dans des futilités, des querelles sans propos, des passions tristes… Qu’importe tout cela, maintenant, à la défunte qui dort son sommeil sous une humble pelouse, comme disait le poète. Qu’elle repose en paix.
PS1: Pour accéder au cimetière Rahma, le cortège funéraire a dû traverser… une décharge publique. Sur des kilomètres, à droite et à gauche, à perte de vue, des détritus, des papiers gras, des sacs en plastique déchirés, des immondices, des carcasses d’animaux… Est-ce comme cela qu’on accompagne des êtres humains vers leur dernière demeure? On a souvent déploré, dans ces colonnes, la saleté d’El Jadida et d’Azemmour, deux villes qui nous sont chères. Mais là, c’en est trop! Un cimetière auquel on ne peut accéder qu’en traversant des terrains vagues qui sont autant de décharges sauvages, répugnantes, puantes… Qui est responsable de cet état de fait? Il est temps de mettre fin à ce scandale.
PS2: Certains se sont étonnés de l’usage du mot «mort» quand je leur ai annoncé la triste nouvelle. N’eût-il pas été préférable d’utiliser le verbe «décéder»? Dans l’absolu, chacun fait ce qu’il veut; mais en bon français, «décéder» relève du langage administratif, celui des assurances et des pensions. La fin physique se dit «mort»– et chacun peut se consoler en se disant qu’il ne s’agit que du côté physique des choses et que l’âme, si elle est, appartient à la métaphysique.