Ils sont partout.
Dans toutes les villes du Royaume, certaines rues, parmi les plus achalandées, sont prises d’assaut, dès la levée du jour, par des centaines d’hommes et de femmes qui déploient des tapis ou des cartons et y disposent pêle-mêle des marchandises diverses et (a)variées. On les appelle les ferrachas– “ceux qui étalent”.
(Avant, c’était “ceux qui détalent” quand ils voyaient la police– aujourd’hui, même la police s’avoue vaincue devant le tsunami des ferrachas et elle laisse faire, penaude, la vilaine.)
Le soir, ils remballent ce qu’ils n’ont pu vendre, jettent papier et plastique au vent mauvais et disparaissent à l’horizon. Demain est un autre jour.
A priori, la question des ferrachas est simple. Leur activité est illégale, il faut donc les disperser. “Que fait l’État? Que fait le Conseil municipal? Que fait la police? Etc., etc.” C’est ce que ronchonne le citoyen horripilé par ces outlaws du jean à deux balles, du jouet étouffe-bébé et de l’électroménager qui fait piiiinng avant de mourir à l’aube.
Les disperser, dites-vous? Les pourchasser?
En réalité, le problème est horriblement compliqué.
Si on pourchasse systématiquement ces gens-là, que deviendront-ils? En fait, ce sont des chômeurs déguisés: ils deviendraient donc des chômeurs tout court, ce qui est pire. Qui aurait le cœur de leur faire un tel sort? Ce sont nos frères humains, après tout.
Certains de ces ferrachas sont des Subsahariens. Ils n’ont pas d’autre moyen de subsister. Veut-on qu’ils crèvent?
Mais en même temps, autochtones ou étrangers, ils font du tort aux marchands sous les yeux desquels ils installent leur négoce. Le marchand paie (en principe) des impôts, eux non: c’est de la concurrence déloyale.
Dis-moi, lecteur impitoyable, tu es avec qui, le marchand régulier au bord de la faillite ou le clando au bord de l’inanition? Redoutable dilemme! Hugo en aurait fait un poème épique: Ô combien de fripiers, combien de ferrachas / partis moroses pour des marchés lointains…
Certains ferrachas des villes de culture (Rabat, Fès, El Jadida, Illigh…) vendent aussi des livres d’occasion – hélas, ce sont des faux, des fake book. Je me suis constitué une petite bibliothèque de mes propres romans, piratés, mal imprimés, mal foutus, faisant contre mauvaise fortune bon cœur.
Mais quoi, doit-on tolérer la piraterie? On n’est pas à Salé, à l'époque du capitaine John, dit raïss Mourad, le chef des corsaires du Bouregreg.
Bref, c’est la bouteille à l'encre. Que faire du ferrach?
J’ai beau me creuser la tête, je n'arrive pas à trouver de solution.
Et mon rédacteur en chef, inflexible sous ses dehors de raminagrobis débonnaire, attend mon billet.
Lectrice, lecteurs, amis lointains et néanmoins chers à mon cœur, je vous refile le bébé. Que faire, nom de D…!, des ferrachas?
Répondez en quelques lignes.
La meilleure réponse vaudra à son auteur un livre piraté mais dont la dédicace sera, elle, garantie authentique, puisque tracée de ma main.
À vos plumes!