L’étalon-or renaîtra-t-il de ses cendres?

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ChroniqueLes récents évènements relatifs au conflit en Ukraine risquent de bouleverser à nouveau l’ordre monétaire mondial. En décidant dans le cadre des sanctions imposées à la Russie de geler la moitié des réserves de la banque centrale russe détenues à l’étranger (en dollar et en euro), les Etats-Unis scient la branche sur laquelle leur dollar est assis.

Le 07/04/2022 à 12h00

En 1944, durant la dernière année du conflit le plus sanglant de l’histoire, se tenait aux Etats-Unis une conférence qui aboutira aux célèbres accords de «Bretton Woods». Cette dernière fut caractérisée par le célèbre bras de fer intellectuel entre le prix Nobel d’économie John Maynard Keynes, qui présidait la délégation britannique, et Harry Dexter White, secrétaire au Trésor des Etats-Unis.

Le premier défendait l’idée d’une refondation du système monétaire mondial, en indexant les monnaies nationales sur une nouvelle devise internationale qui devait porter le nom de «Bancor». Sa particularité devait de n’être rattaché à aucun Etat et par conséquent d’être politiquement neutre.

Pour le second, du côté américain, le dollar devait devenir la principale monnaie de réserve et d’échanges commerciaux à l’échelle mondiale, avec un rattachement nominal du dollar à l’or.

La proposition américaine finira par l’emporter, et des ruines de la seconde guerre mondiale naîtra un nouvel ordre monétaire mondial, articulé autour d’un dollar soumis formellement à la règle de l’étalon ou du standard-or.

Les banques centrales seront donc invitées à constituer leurs réserves de change en dollars, ce qui équivaudrait théoriquement selon la règle précédemment citée à détenir de l’or.

Or, à partir de des années 1960 jusqu’au du début des années 1970, un certain nombre de pays européens commencent à douter de la capacité des Etats-Unis à garantir l’équivalence, en or, des dollars que les banques centrales de ces pays détiennent en réserves.

La France, sous la présidence de De Gaulle, entamera le rapatriement de son or stocké aux Etats-Unis à partir de 1963. En 1971, c’est au tour de la République fédérale d’Allemagne de demander le remboursement de ses dollars en or.

Pour éviter une hémorragie de leur stock en or, les Etats-Unis décident unilatéralement, le 15 aout 1971, de suspendre la convertibilité du dollar en or.

C’est là probablement le plus grand hold-up de l’histoire. Les autres pays n’ont plus d’autres choix que de garder les milliards de dollars accumulés dans leurs réserves.

L’étalon-or a pris fin, mais l’hégémonie du dollar en tant que monnaie de réserves et pour les échanges internationaux est demeurée intacte.

Le passage graduel à partir de 1973 des économies occidentales au régime de taux de change flottant mettra définitivement fin à l’étalon-or. Désormais, les valeurs des devises seront déterminées par le jeu du marché.

Mais les récents évènements relatifs au conflit en Ukraine risquent de bouleverser à nouveau l’ordre monétaire mondial. Car en décidant dans le cadre des sanctions imposées à la Russie de geler la moitié des réserves de la banque centrale russe détenues à l’étranger (en dollar et en euro), les Etats-Unis semblent scier la branche sur laquelle leur dollar est assis.

Car désormais, quel pays pourra avoir pleinement confiance dans le fait que ses réserves en dollars, ne risquent pas de disparaître comme par magie, suite à un bras de fer géopolitique avec Washington?

L’Arabie Saoudite? Bien que considéré comme le principal allié des Etats-Unis dans la région, Ryad n’hésite pas à négocier depuis un certain temps avec la Chine, la possibilité de libeller leurs contrats de livraison de pétrole en yuan pour s’émanciper de la monnaie impériale américaine. L’ombre de l’affaire «Khashoggi» semble encore planer sur l’Arabie Saoudite.

L’Inde? Là aussi, des négociations entre New Delhi et Moscou visent à libeller leurs échanges en roupie et en rouble. Le cauchemar de l’Inde serait de voir la Russie se rapprocher du Pakistan. Rappelons à ce propos qu'Islamabad a violemment refusé de s’aligner sur les sanctions occidentales imposées à la Russie.

La Chine? La deuxième économie mondiale n’a pas attendu les récents évènements pour entamer une dédollarisation de son économie. Notamment dans ses échanges avec la Russie.

Quant au Maroc, l’ambassadeur de Russie a récemment proposé au Royaume de trouver des moyens de contournement des sanctions afin de préserver les échanges commerciaux entre nos deux pays. Il a notamment été question de recourir à d’autres monnaies que le dollar et l’euro, aux monnaies nationales (dirham et rouble), voire au troc.

Nous avons donc là une ligne de fracture majeure entre l’ancien ordre monétaire mondial, et un nouveau, dont les fondements étaient déjà en germe, bien avant la crise ukrainienne.

A Moscou, ce tournant monétaire prend une toute autre ampleur. En effet, la Russie a imposé aux pays occidentaux de payer leurs factures énergétiques en roubles. La Russie n’acceptant plus ni le dollar ni l’euro, ces pays seront donc amenés à acheter la monnaie russe avec des yuan ou de l’or.

En interne, la Russie a décidé de soutenir sa monnaie en l’indexant littéralement sur l’or, avec un taux de conversion fixe de 5000 roubles pour 1 gramme d’or, tout en supprimant la TVA sur le métal jaune. Implicitement, la Russie semble vouloir fonder un nouvel étalon-or autour de sa monnaie. Pour les partenaires commerciaux non-occidentaux de la Russie dont nous faisons partie, détenir désormais des roubles revient à détenir de l’or. Cependant, il faut encore attendre quelques mois pour voir si cette mesure va s’inscrire dans la durée en s’érigeant en nouvelle doctrine monétaire.

Dans cette perspective, l’hégémonie encore persistante de l’ordre occidental, semble être fondée en réalité sur une bulle monétaire, celle du dollar. Tandis qu’en face, le yuan et désormais le rouble jouissent d’un ancrage tangible, l’or pour la Russie, et une industrie réelle pour la Chine.

Par conséquent, par-delà les sièges et les batailles de Marioupol ou de Slaviansk, la vraie bataille semble se dérouler sur un terrain infiniment plus dangereux, celui de l’ordre monétaire.

Par Rachid Achachi
Le 07/04/2022 à 12h00