L’Algérie et la guerre des «ventres»

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ChroniqueSur un champ de bataille moderne, la diversité des armes utilisables n’a d’égale que les limites de l’imagination humaine. Drones, missiles hypersoniques, brouillage électronique, missiles de croisière… la liste est longue. Mais il y a une arme que l’on croyait oubliée, comme relevant d’un passé révolu: la fécondité, ou la guerre des ventres.

Le 05/01/2023 à 11h01

Celle qui consiste à embrigader les mères pour les amener, par un discours idéologique bien ficelé, à mettre au monde non des enfants mais des soldats! Une démarche inhumaine et anachronique à une époque où, certes, le facteur humain demeure important, mais pas autant que le développement économique et technologique qui fait essentiellement la différence.

Or, il se trouve que l’indice synthétique de fécondité, soit selon le Larousse «le nombre d’enfants qu’aurait une femme, au cours de sa vie féconde si elle se comportait conformément à la fécondité par âge observée au cours d’une année donnée», est un indicateur de développement socio-économique. Autrement dit, plus un pays se développe, plus sa fécondité diminue en se dirigeant graduellement et inexorablement vers le taux de remplacement de 2,1 enfants par femme en moyenne. Soit le taux de fécondité qui fait que la taille d’une population devient stable, sans croître ni décliner.

Accompagnée, voire précédée, par une baisse de la mortalité infantile, cette dynamique universelle est qualifiée de transition démographique.

Universelle ai-je dit? Pas si sûr, puisque durant la dernière décennie, deux pays semblent sortir du lot: l’Egypte et l’Algérie. Après une longue baisse de leur taux de fécondité depuis les années 1970, ces deux pays connaissent depuis à peu près 10-20 ans, une remontée de la fécondité, ce qui ne semble pas cadrer avec le modèle standard de transition démographique.

Si les réactionnaires semblent se réjouir de cette nouvelle dynamique, y voyant une forme de vitalisme conforme à leur compréhension étroite et littéraliste de la religion, une observation attentive des faits laisse cependant entrevoir le contraire.

Délitement de l’Etat, mise à l’arrêt de la dynamique de démocratisation, montée de la pauvreté et héritage du panarabisme fortement nataliste semblent être les principales caractéristiques de ces deux pays.

Mais si l’Egypte est incontestablement une bombe démographique, elle se trouve néanmoins loin de nos frontières. Ce qui ne nous empêche pas de lui souhaiter le meilleur.

Par contre, la nouvelle dynamique démographique algérienne a de quoi nous inquiéter. Et par nous, j’entends autant les Marocains que les Algériens soucieux de l’avenir de leur pays.

Car tous les socio-démographes savent que l’indice de fécondité est un indicateur de mesure, dans le cas d’une dynamique baissière, du niveau d’individuation des personnes. Autrement dit, de l’épanouissement des citoyens, conscients de leurs droits et devoirs, de leur souveraineté individuelle et soucieux de leur bien-être au sens large.

Dans le cas contraire, une remontée durable de ce taux, comme c’est a priori le cas en Algérie, où le taux de fécondité est passé de 2,46 enfants par femme en 2004 à 3 en 2016, indique une régression de cette dynamique, un affaiblissement de la société civile et un renforcement de la logique autoritaire, paternaliste et psychorigide de l’Etat. Ce qui, somme toute, n’est pas pour déranger le pouvoir actuellement en place. Au même moment, au Maroc, le taux de fécondité commence à se stabiliser autour de 2,2 enfants par femme, preuve que le Royaume est en train d’achever sa transition démographique, avec tous les avantages socio-économiques que cela engendrera.

Alors, je n’irais pas jusqu’à dire que l’Etat algérien encourage activement cette remontée de la fécondité, mais je dirais qu’il ne fait rien pour s’y opposer.

Car il se pourrait que dans le logiciel du pouvoir algérien, cette nouvelle hausse de la fécondité fasse intégralement partie de leur arsenal militaire, dans la perspective d’une guerre future fantasmée, pour ne pas dire désirée, par certains généraux contre le Maroc.

Mais pour rester dans le cadre de cette rhétorique martiale, il est évident que ces généraux ont probablement une guerre de retard, puisque les conflits de haute intensité contemporains obéissent à des règles en partie différentes de celles du siècle dernier.

Le facteur humain demeure bien entendu central, mais il est amplifié ou atrophié par des aspects qualitatifs qu’il serait fatal d’ignorer: interopérabilité des armées, niveau de qualification des soldats et des officiers, flexibilité de la chaîne de commandement, armement à haute intensité technologique et force de projection constituent des éléments qualitatifs parmi tant d’autres, et qui peuvent aisément compenser un déficit démographique. En l’absence de ces transformations, un surplus démographique exprime tout simplement une meilleure capacité à mobiliser de la chair à canon.

Il en résulte que face à la modernisation militaire et aux transformations qualitatives opérées depuis des années par l’armée marocaine, la junte algérienne ne semble lui opposer qu’un doublement du budget militaire et une fécondité qu’elle laisse filer à la hausse, au détriment du développement socio-économique du pays. La qualité contre la quantité, ou la sophistication contre une vision anachronique et obsolète de la guerre.

Par Rachid Achachi
Le 05/01/2023 à 11h01