Vendredi dernier, environ 2.000 migrants clandestins ont tenté de forcer les clôtures séparant les villes de Nador et Melilia. Bilan: 23 morts et 200 blessés dont 140 parmi les forces de l’ordre marocaines, certains gravement blessés.
Immédiatement, l’Algérie s’est mise à pousser des cris d’orfraie en parlant de carnage et de barbarie. Quant à Kémi Séba, le célèbre néo-panafricaniste, il s’est immédiatement empressé d’appeler au boycott de Royal Air Maroc (RAM), sans prendre ne serait-ce qu’un instant pour vérifier les faits objectivement, loin de tout populisme.
Mais premièrement, que s’est-il réellement passé? Et comment expliquer ce nombre relativement élevé de morts?
D’après les différentes vidéos circulant sur le net, il paraît évident que ces morts ne peuvent aucunement être attribués aux forces de l’ordre, qui n’ont eu recours qu’au gaz lacrymogène pour disperser les assaillants et à la matraque conventionnelle, qui, rappelons-le, est une arme défensive servant à se protéger ou à neutraliser de manière non létale un assaillant.
Cependant, certaines vidéos montrent clairement un effondrement de la clôture, sous le poids des dizaines de migrants qui tentaient de l’escalader. De même, la bousculade engendrée par cet assaut a donné lieu à des piétinements et à des étouffements ayant causés la mort tragique de plusieurs migrants.
De même, il est nécessaire de rappeler que ceux-ci n’étaient pas des bouquets de roses vivants. Beaucoup d’entre eux sont arrivés armés de couteaux, de barres de fer, de bâtons, et de crochets métalliques pour escalader les grilles, mais également pour attaquer les forces de l’ordre.
Face à cette violence inhabituelle, les forces de l’ordre marocaines, et ce, contrairement à ce qu’en dit la propagande algérienne, ont fait preuve de retenue, d’où le nombre important de blessés parmi leurs rangs. Dans d’autres pays comme les Etats-Unis, les forces de l’ordre n’hésitent pas, dans ce genre de situation, à utiliser des balles réelles.
De plus, plusieurs ambassadeurs de pays africains ont réagi en soutien à l’Etat marocain, jugeant la réaction des autorités marocaines comme légitime.
Ainsi, l’Algérie serait-elle plus africaine que les pays africains concernés?
Mais là où il y a anguille sous roche, c’est que beaucoup de ces migrants seraient originaires du Soudan, comme l’explique cet article, ce qui implique qu’il s’agit d’un détournement d’une voie migratoire de traite humaine, qui passe habituellement par la Libye et l’Algérie.
Or, un nombre aussi important de migrants soudanais ne peut pas avoir traversé librement le territoire algérien sans que cela ne soit orchestré et organisé par les autorités de ce pays, en vue de faire des flux migratoires une arme non conventionnelle et inhumaine contre la souveraineté autant du Maroc que de l’Espagne.
Passons maintenant à Kémi Séba.
Né à Strasbourg, dans l’est de la France, en 1981, Kémi Séba, de son vrai nom Stellio Gilles Robert Capo Chichi, fut très tôt attiré par des théories suprématistes et ségrégationnistes noires, en intégrant des mouvements comme «Nation of Islam», ou en créant un nouveau mouvement comme la «Tribu Ka».
Erreurs de jeunesse, me direz-vous. Oui, tout le monde en commet.
Plus tardivement, Séba adhère et élabore un discours plus articulé et plus sophistiqué. Anti-impérialisme, anti-colonialisme et panafricanisme deviendront ses crédos, qui sont somme toute défendables. Car l’idée selon laquelle les nations africaines se doivent de reconquérir leur pleine souveraineté face à un Occident hégémonique et prédateur est clairement un impératif et un combat défendable. Quant au panafricanisme, le projet d’une Afrique unie, forte et souveraine, est la seule alternative viable pour pouvoir peser dans un monde de plus en plus multipolaire.
Cependant, la question est de savoir où commence et où s’arrête l’Afrique pour Séba. Lui donne-t-il une définition continentale et civilisationnelle à l’instar de la théorie de l’Eurasisme portée par Alexandre Douguine? Ou bien, la dimension racialiste est-elle encore présente de manière latente dans sa vision des choses?
A en croire plusieurs de ses écrits et interventions, son Afrique commence en Afrique du Sud et s’arrête au Sahel. Au-delà, le continent serait peuplé d’esclavagistes et de descendants d’esclavagistes. Une vision fantasmée et simpliste qui occulte le fait que la traite négrière a été aussi le fait d’Africains noirs, puisque des chefs de tribus africaines n’hésitaient pas faire commerce avec les Portugais, en leur vendant des prisonniers faits au sein d’autres tribus. Oui, des noirs vendaient des noirs en esclaves, ça a bien eu lieu. De même, les nations maghrébines ont été victimes du colonialisme et de l’impérialisme occidental, au même titre que le reste du continent africain.
Autre élément, la question de la cohérence. Puisque dénoncer le néo-colonialisme français, le Franc CFA, l’ingérence et l’exploitation françaises en Afrique et prôner le retour de tous les noirs d’Occident en Afrique semble cohérent et même défendable par certains aspects. Mais garder autant la nationalité que le passeport français pour des raisons de confort et de mobilité l’est beaucoup moins. N’est-ce pas, Kémi?
Quant à la critique virulente qu’il a faite du Maroc et le boycott de RAM auquel, cela relève avant tout d’un populisme avéré, et de sa prise en otage par son propre discours. Car dans ses propos, la vérité importe peu. Ce qui compte, c’est ce qu’attend son public de lui. Et c’est là la ligne qui sépare l’intellectuel et le militant honnête du populiste et du démagogue.
Car pour faire ses allers-retours en France, il n’a certainement pas utilisé Benin Airlines, mais très probablement Air France.
Enfin, la question de la souveraineté des Etats africains. Car s’il y a bien un Etat qui respecte la souveraineté de chaque Etat en Afrique, c’est bien le Maroc, qui non seulement ne s’ingère pas dans les affaires intérieures de ses partenaires continentaux, mais bien au contraire, œuvre à les renforcer à travers différents partenariats économiques, transferts de savoir-faire et de technologies, aides sanitaires et alimentaires en cas de catastrophes…
Le retour entamé par Sa Majesté le Roi au sein de l’Union africaine en 2017 exprime clairement l’ancrage africain du Maroc, qui, loin de prendre ses partenaires de haut comme certaines chancelleries occidentales, cherche bien au contraire à renforcer les partenariats Sud-Sud.
Ainsi, il y a le Kémi Séba défendable, celui qui critique et milite contre l’hégémonie, l’impérialisme et le néo-colonialisme occidentaux, et le Kémi Séba qui sape la possibilité d’une Afrique unie et forte, à travers un suprématisme noir qui constitue toujours le substrat de son discours, et un populisme qui, loin de profiter à la cause africaine, porte gravement atteinte à la crédibilité d’un combat légitime, celui de l’émancipation et de la reconquête de la souveraineté africaine.