Oui, bien sûr, l'économie formelle: celle des grands agrégats économiques, pris en charge par les décideurs publics (gouvernement, parlement, Bank Al Maghrib) –elle se décline dans un périmètre balisé, conventionnel même pourrait-on dire. Et puis, l'on trouve autre chose: l'économie informelle, évaluée à 30 ou 40 % du PIB, sinon plus. Entre les deux, comme en tenaille, il faut faire une place à l'économie sociale et solidaire (ESS) où des acteurs locaux œuvrent pour conforter –et promouvoir, le cas échéant– des dynamiques de développement. Cet écosystème est appelé à s'élargir; il a été consacré de manière particulière, voici dix-sept ans, avec l'Initiative Nationale de Développement Humain (INDH) en 2005. Ce n'est pas de l'assistanat: tant s'en faut. C'est un modèle économique visant à lutter, ou à tout le moins, réduire la pauvreté et l'exclusion tant en milieu rural qu'en milieu urbain.
Comment? En favorisant la création d'activités génératrices de revenus. Il s'agit d'autonomiser, de manière progressive, sous l'égide d'acteurs locaux, les porteurs de projets pour leur assurer des conditions de vie de dignité. La population cible doit arriver ainsi à s'approprier des activités. Ce ne sont pas des personnes avec des stratégies individuelles mais une dynamique collective soutenue par un lien social minimal adossé à un ancrage socioculturel. Les populations concernées font face à une exigence de nécessité, à des besoins ressentis et non satisfaits. Le marché du travail ne permet pas de répondre à leurs préoccupations. D'où le retissage de liens sur des bases familiales, soit dans des coopératives, soit dans diverses formules de regroupement et de mutualisation des énergies et des potentialités existantes.
Le Nouveau Modèle de Développement (NMD) a traité de cette question –il faut bien y revenir parce que c'est le référentiel stratégique retenu sinon présumé. Il reste aux politiques publiques actuelles et futures à prioriser l'économie sociale dans le processus de développement. Le risque est en effet le suivant: se borner à «gérer» ce secteur de manière pratiquement résiduelle. Cela tient à une conception particulière de celle-ci: sa réduction alors qu'elle doit avoir un autre contenu et une dimension plus large. Tout paraît se passer en effet comme si la coopérative, et plus globalement le secteur de l'économie sociale et solidaire connaissaient une sorte d’«assignation», transitoire, s'apparentant à une fonction supplétive de «parking» de populations en marge. Or, il importe que l'ESS soit considérée comme un acteur de développement; qu'elle constitue un vecteur d'insertion et d'inclusion dans la dynamique de développement des territoires; et qu'elle contribue ainsi à la préservation du tissu socio-économique tant urbain que rural.
Ici, le modèle de l'économie sociale et solidaire est à appréhender au plus près. Il est un compromis entre l'économique et le social: le premier renvoie au marché, à la consommation et au profit tandis, le second intéresse un lien social et des rapports entre des individus. Historiquement, l'économie sociale remonte à la fin du XIXe siècle avec de multiples types coopératifs ou associatifs; aujourd'hui, elle emprunte plusieurs formes (entreprises de type coopératif, sociétés mutualistes, associations...). Quant à l'économie solidaire, elle s'est surtout développée durant les trois dernières décennies du siècle précédent. Un fait lié à plusieurs facteurs: chômage de masse, aggravation des exclusions, recherche d'un nouveau modèle de développement (commerce équitable, circuits réduits du producteur au consommateur...). Sans oublier la finance solidaire, le micro-crédit, l'insertion professionnelle des jeunes chômeurs et des non qualifiés. Elle présente un trait particulier: celui d'être souvent une école locale. Enracinée. De proximité aussi. Elle peut se construire également sur des produits du «terroir» et la valorisation des ressources locales –un label pouvant consacrer des produits. A cet égard, la solidarité est économique en créant et en développant des activités. S'affirme ici le souci et même la volonté de quitter l'assistance étatique avec ce corollaire: l'élargissement des membres au secteur associatif privé.
Il faut à cet égard mettre en exergue aussi l'INDH pour en apprécier la portée et s'interroger sur son impact dans la recherche et la mise en œuvre d'un modèle d'économie sociale et solidaire. Un double objectif avait été fixé: celui d'une «sortie» d'une partie de la population de la précarité; et celui de la participation et de l'implication de celle-ci dans ce programme. Une formule d’«auto-engagement» pour des solutions innovantes mises sur pied avec un accompagnement étatique. Un processus de co-construction soucieux d'une mobilisation à la base, dans les territoires, et ce sur des bases d'intégration sociale, d'action locale et durable aussi. C'est qu'en effet l'économie sociale répond à une insuffisante offre tant du secteur privé que de l’Etat.
Cela dit, comment se définissent et se déploient les politiques publiques sociales au Maroc? Sont-elles efficientes? Et quels sont leurs mécanismes décisionnels? La dynamique est là, assurément; elle doit cependant faire face à de multiples contraintes. Il faut observer pour commencer que le secteur publie social repose sur un cadre institutionnel astreint à des règles et des procédures. Le souci est d'assurer et d'optimiser l'action de développement social. Comment? En se préoccupant de la cohérence des actions et des mesures qui les accompagnent. Le facteur culturel n'est pas à minorer; les personnes et les groupes se rattachent, sous une forme ou sous une autre, à des processus de construction d'identités collectives par et autour d'un projet d'économie sociale et solidaire. Au fond, n'est-ce pas un «autre développement» qui est désormais à l'autre du jour? Ce sont en effet des actifs sociaux –surtout les pauvres des milieux ruraux– qui disposent d'un capital social à valoriser. Ils ont à conforter cet acquis par «leur capacité à réseauter, à coopérer de manière constructive et à travailler de manière collective», comme l'ont relevé des auteurs.
Ce capital met à profit une ressource dont disposent déjà les pauvres; il produit une autonomisation sociale; il leur donne la capacité de participer activement à la prise des décisions qui touchent leurs moyens d'existence; il les aide à élaborer une stratégie des moyens d'existence de nature à leur permettre l'amélioration de leur capacité à améliorer leurs conditions de vie. Il importe que ces moyens d'existence prennent en compte plusieurs paramètres: la durabilité écologique et économique; la durabilité sociale dans le sens de la réduction de l'exclusion et de l'amélioration de l'équité sociale; enfin la durabilité institutionnelle, avec des structures et des processus institutionnels, formels ou informels assurant des moyens d'existence à long terme.
La théorie classique du développement présente aujourd'hui un aspect quelque peu «ringard» qu'il faut mettre à plat. Elle doit avoir en effet de nouveaux fondements– un paradigme, pourrait-on dire –qui priorisent un développement plus inclusif, plus équitable et plus durable. A la différence de la Banque mondiale, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) complète le développement avec le qualificatif «humain» pour élargir l'éventail des possibilités offertes. La relance économique, oui sans doute; mais aussi sa teneur et sa dimension sociale. «L'Etat social» de référence dans le discours du gouvernement ne peut minorer le modèle et les potentialités de l'économie sociale et solidaire –un tiers secteur, à côté des politiques publiques et de l'économie marchande du secteur privé.