École: le défi de la culture démocratique

Mustapha Sehimi, politologue.

Mustapha Sehimi, politologue. . DR

ChroniqueAu fond, il s'agit de reconnaître aux écoles un rôle de laboratoires de culture démocratique. L'école doit revoir le contenu de son enseignement; elle doit fournir l'intelligence des principes d'une culture démocratique.

Le 06/03/2022 à 10h01

La gravité de la situation internationale actuelle avec le conflit Ukraine-Russie est fortement préoccupante. Mais cela ne doit pas arrêter le débat national sur l'état des lieux, les axes des politiques publiques en 2022 et au-delà, même à l'horizon 2035, comme retenu par le rapport sur le Nouveau Modèle de Développement (NMD). L'économie, le social, l'institutionnel, l'éducation: oui, sans doute.

Précisément, pour ce qui est du domaine de l’éducation, il vaut de rappeler pour commencer ce qui est proposé dans ce texte de référence, à savoir «une éducation de qualité pour tous», «initier une véritable renaissance éducative marocaine» articulée autour de ces trois axes: investir dans la formation et la motivation des enseignants, réorganiser le parcours scolaire et le système d'évaluation, enfin rénover les contenus et les méthodes pédagogiques. Est également évoquée, sommairement cependant, «l'éducation à la citoyenneté et au civisme».

L'Ecole donc! L'école parce que c'est d'abord là qu’ont lieu et se produisent de véritables face-à-face: rencontres d'enfants, de femmes et d'hommes. Il s'agit d'arriver à insérer cette institution dans la perspective de la culture démocratique, des valeurs et horizons particulières, d'une mise en contact avec référentiel et partant des comportements dans l'avenir, les élèves devenant des citoyens. Force ost de relever que nos écoles, aujourd'hui, ne sont pas vraiment à la hauteur de cette grande tâche. Ce qui prévaut n'est-ce pas plutôt un principe d'autorité? Voilà pourquoi, il importe de faire des écoles de véritables observatoires de démocratie, sur le «front» même. Sans doute, d'autres lieux existent pour cela dans la société, étatiques ou non, parties prenantes dans une telle éducation. Mais c’est quoi au fait une culture démocratique? Trois valeurs éthiques et fonctionnelles universellement constitutives: la liberté et les droits de l'homme, le dialogue systématisé et l'exemplarité couplée au respect de la créativité.

La première a trait à la complexité et à la richesse de la dignité humaine. Les droits de l’homme? Leur enseignement est difficile; ce n'est pas une matière qui peut être catégorisée comme une autre; elle est à la fois théorique et pratique –elle couvre ou à tout le moins touche toutes les disciplines.

Le dialogue systématisé, lui, implique ceci: toute décision n'est prise qu'a l'issue d'un dialogue méthodiquement établi et réglé, suivant des procédures objectives entre les partenaires concernés. Que recouvre-t-il? Le respect de la vérité commune à tous, la tolérance, et la recherche de processus de négociation. Une nouvelle pratique donc à introduire dans les écoles –de quoi bousculer un certain conformisme tant des élèves que des enseignants d’ailleurs et même de la société. Elle sera difficile à instaurer, assurément. C'est qu'en effet tout «système» a plutôt tendance à retomber dans une structure hiérarchique simple tournée vers l'application de programmes donnés. Le dialogue doit ainsi être restauré, sans cesse; il doit arriver à rétablir la confiance et entraîner l'adhésion. Les procédures de débat doivent aussi être adaptées, à chaque corps social –l'école, la famille, le quartier, l'association professionnelle, etc.

Pour ce qui est enfin de l'exemplarité, référence est faite à ce que l'on pourrait appeler le respect de la créativité: c'est la capacité de mettre en pratique les idées que l'on prône; c'est aussi la preuve par l'acte, avec des mesures incitatives d'expériences nouvelles de participation et de dialogue. Au fond, il s'agit de reconnaître aux écoles un rôle de laboratoires de culture démocratique. Pas des comités de gestion avec une direction démocratique avec un commandement, mais autre chose: accompagner et orienter une communauté scolaire (élèves, enseignants, parents, administration) dans son fonctionnement et ses initiatives.

L'exercice des citoyennetés se fonde sur une double logique. C'est un concept en extension. Un élève, un individu peut toujours participer à plus de responsabilités: celles qui touchent la justice et la dignité humaine restent communes en démocratie. Mais c'est aussi un concept de limitation: chaque pouvoir doit s'articuler autour de contre-pouvoirs. Question de conscience citoyenne où prévalent l'apprentissage des libertés ainsi que le respect des droits de l'homme. La liberté de chacun. Elle est solidaire de celle des autres. La culture est à double face: elle est participative, affirmative d'une identité propre et universaliste dans le sens de la participation aux valeurs communes à tous les hommes. Une «notion commune» à tous les hommes. A toutes les cultures. Et à toutes les disciplines. Les droits de la personne sont inscrites dans la Constitution de juillet 2011 en son titre «Libertés et droits fondamentaux», avec une vingtaine d'articles (articles 19 à 40). Les droits de l'homme sont désormais enseignés dans des corps régaliens (sûreté nationale, magistrature), mais très peu dans les écoles…

L'école doit revoir le contenu de son enseignement; elle doit fournir l'intelligence des principes d'une culture démocratique. Parlant des universités, le sociologue Edgar Morin fait référence à «l'école du deuil»: celle de «l'émiettement du savoir»; celle de «la connaissance qui se disloque en mille savoirs ignares»; celle enfin qui ne s'est pas formée à une pratique systématique et rigoureuse de l'interdisciplinarité.

L'école est en effet compartimentée; elle n'a pas vraiment prise sur la complexité réelle. Ce qui pose le problème de la nécessité de l'interdisciplinarité pour mettre fin à un savoir émietté, peu contributeur aux droits de l'homme et qui contribue au contraire au maintien des cloisonnements et aux conservatismes de toutes sortes. Il ne s'agit pas de faire la «découpe», pourrait-on dire, de l'enseignement de chaque discipline avec sa rigueur scientifique, mais de faire de l'interdisciplinarité une valeur ajoutée. Formation des maîtres, un programme d'enseignement approprié: voilà des axes à prendre en compte.

Cela dit, comment enseigner la liberté et les droits de l'homme à chaque élève? Comment revoir et promouvoir l'école dans cette perspective? L'école est un double lieu interculturel, à la rencontre des savoirs accumulés et des hommes, des cultures anciennes et contemporaines; à celle aussi des enfants, des femmes et des hommes qui vivent des cultures actuelles. Des chocs salutaires pour développer et identifier sa propre culture: c'est l'interculturel écrit et relationnel. Dans un cas comme dans l'autre, l'objectif est à la fois la reconnaissance de la dimension des diversités et celle des points de rencontres possibles, des permanences des valeurs universelles.

L'école? C'est le lien social au niveau local; il doit être consolidé comme espace public suscitant et accueillant les rencontres interculturelles. Est-ce le cas aujourd'hui? L'école doit aussi jouer le rôle de ferment de l'unité dans le respect des diversités et sur la base d'une pratique effective des libertés publiques. Une maison d'accueil en somme en tant que lieu culturel pour le quartier; un lieu de création d'objets et de liens offrant un cadre de rencontres aux parents, aux amis, et à diverses autorités. A ce titre, elle s'apparente à un «front social des libertés»; une frontière et aussi là où interfèrent les groupes sociaux constituant une société. Un atelier. Une bibliothèque. Un forum et un espace convivial et festif. 

Par Mustapha Sehimi
Le 06/03/2022 à 10h01