Nord-Sud, l'héritage gréco-romain et quelques vieux mythes

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ChroniquePour changer de la lecture de l’histoire sous le prisme de l’hellénisation, il serait intéressant de prendre en considération les autres protagonistes de l’interaction. Intéressons-nous alors à l’apport des peuples autochtones du Maghreb dans cette armature culturelle…

Le 11/12/2021 à 11h00

A chaque échéance électorale, certaines mouvances européennes remettent au centre du débat l’histoire du «Vieux» continent et son héritage gréco-romain, avec un clin d’œil aux nouveaux arrivants, invités à s’assimiler en montrant patte blanche...

Il peut paraître anodin de marteler sans cesse que l’un des socles sur lesquels repose la culture occidentale est le legs gréco-romain. Sauf quand il en résulte un surdimensionnement au détriment des autres civilisations et une ostracisation du reste du monde pour le transformer en propriété exclusive.

Questions: d’où puise la civilisation gréco-romaine elle-même ses racines? Pourquoi ne rappelle-t-on pas les sources antiques proche-orientale et africaine?

Pythagore aurait vécu 22 ans en Egypte, avant d’être emprisonné à Babylone pendant 12 ans, pénétrant là encore les arcanes de la science antique.

Platon s’initia en Asie mineure et durant 13 ans en Egypte, acquérant la connaissance des mystères d’Orphée à la suite de son maître Socrate.

Ce dernier avait lui-même reçu les secrets de la grande initiation pendant 20 ans dans les temples de Memphis.

Hérodote, Homère, Eudoxe de Cnide, Démocrite, Archimède... Tous ont effectué des séjours en Egypte, selon les témoignages d’auteurs comme Plutarque, Hermodore, Diodore ou Strabon.

Ce serait un travail herculéen que de retracer toutes ces influences mais ce n’est que justice rendue que de prendre en considération les autres protagonistes de l’interaction pour changer de la lecture historique sous le prisme de l’hellénisation.

Limitons-nous ici à l’apport des Berbères dans cette assise culturelle; à moins que, écrivait Gabriel Camps, «obnubilés par le génie grec nous admettons difficilement que les Libyens, ces barbares, ces «trainards maghrébins» (…) aient pu enseigner quoi que ce soit aux Hellènes».

Les Grecs n’avaient pourtant aucun mal à rattacher aux Libyens (non donné aux peuples autochtones du Maghreb), une myriade de dieux, de héros et d’êtres fabuleux.

Parmi eux: Ammon, commun aux Egyptiens, aux Ethiopiens et aux Libyens, représenté par un bélier et dont le culte serait passé, nous dit Charles-François Dupuis, de Libye en Crète et en Grèce.

Honoré par les Grecs qui l’associent à Zeus, il est également unifié à la divinité phénicienne Baal-Hammon, surnommée Saturne l’Africain.

Comment ne pas évoquer aussi cette figure majeure du panthéon grec qu’est Poséidon, divinité de la mer dont la connaissance serait venue aux Grecs par les Libyens d’après Hérodote.

«Aucun peuple, dit-il, ne possède le personnage de Poséidon, depuis les origines, si ce n’est les Libyens qui honorent ce dieu de tout temps.»

Certains chercheurs établissent d’ailleurs des analogies entre le nom Poséidon et les sanctuaires, dits Sidi Bouzid, égrenant les côtes, dont ils constitueraient le vestige du culte.

La fille de Poséidon n’est autre que la guerrière Athéna, identifiée à la Libyenne Neith par Platon. Elle serait née en Libye antique, au bord du lac Triton selon Hérodote, qui précise que les cris de triomphe «ololu, ololu» (les fameux youyous ?!) poussés en son honneur étaient d’origine Libyenne.

D’autres personnages fantastiques ont nourri la mythologie, la littérature et les arts comme le géant Antée, vaincu par le Grec Heraclès pour être inhumé sur l’emplacement du Cromlech de Mzoura (près de son palais de Lixus aux environs de l’actuelle Larache), tandis que sa femme Tingi (éponyme de la ville de Tanger) épousa son rival avec comme fruit de cette union, Sophax.

L’un des Douze travaux d’Hercule (rapprochés de l’épopée de Gilgamech, considérée comme la première œuvre littéraire de l’humanité, née en ancienne Mésopotamie) était de dérober des pommes d’or du Jardin des Hespérides, nymphes du Couchant, filles d’Atlas, résidant à la limite occidentale du monde connu.

Le même Atlas, inventeur de l’astrologie et de la science de la sphère selon Pline ou Cicéron, aurait transmis toutes ses connaissances à Hercule qui les aurait à son tour apporté en Grèce.

Ce qui fit écrire par un auteur du XIXe siècle: «singulière assertion, qui fait des Grecs les disciples des Barbares africains, et qui retourne d’Orient en Occident la marche de la civilisation humaine».

Comment ne pas penser dans le sillage du jardin des Hespérides au conte marocain du jardin de Ghalya bent Mansour avec ses fruits convoités et ces êtres fantastiques gardiens des lieux, à l’image du serpent à sept têtes qui repoussent à mesure qu’on les coupe, exactement comme l’hydre de Lerne dont la destruction fait partie des douze travaux?

Cela nous ramène au conte du Cyclope et berger borgne avec toutes ses versions à travers l’Afrique du Nord affirmant cette parenté méditerranéenne.

Dans ce même ordre, Diodore de Sicile fait résider les Gorgones et leur reine Méduse en Libye et décrit la lamie comme une reine libyenne qui perdit tous ses enfants et en éprouva tant de désespoir que sa face se changeât en bête féroce s’attaquant aux enfants et les arrachant des bras de leur mère. Son souvenir pourrait avoir subsisté avec le personnage d’Oum-Sebiane véhiculé par la culture populaire, vouant une haine aux foyers et aux enfants, et dont le nom est accolé depuis à une maladie infantile.

L’influence ne s’arrête pas aux personnages fabuleux. Hérodote se fait explicite sur d’autres plans en rappelant que c’est des Libyens que les Grecs ont appris à atteler à quatre chevaux et à eux qu’ils ont emprunté le vêtement et l’égide des statues d’Athéna.

L’égide (en grec, aegis), fait en peau de chèvre a été d’ailleurs identifié au berbère Ighid, toujours employé pour désigner le chevreau.

Avec les héritiers romains, nous sortons de la mythologie tout en imposant cette notion d’interpénétration culturelle.

Mais autant il paraît naturel de parler de civilisation gallo-romaine ou ibéro-romaine, autant cela ferait sursauter quelques-uns, l’association de l’adjectif «romain» à l’élément libyque.

Pourtant, le concept de romanisation n’est pas étranger aux Berbères qui ont suivi de manière globale le même processus que les Ibères, Sardes, Gaulois, Maltais, Siciliens...

Comme en Gaule ou en Ibérie et ailleurs à travers l’Empire, Rome a réussi à installer sa pérennité par sa politique d’intégration des élites locales.

L’armée joue parfaitement ce rôle d’intégration et de romanisation.

Un grand général comme Lusius Quietus est un Maure de naissance qui a grimpé les échelons, avant d’entamer une ascension fulgurante lui valant comme récompense le titre de gouverneur de Judée.

C’est également la puissance de l’armée qui a permis de porter au pouvoir impérial le Libyen Septième Sévère, né à Leptis Magna, père de Caracalla.

Sur le plan linguistique, le latin était la langue religieuse du christianisme africain dont le foyer fut Carthage, alors que l’église romaine était attachée au grec qui resta sa langue liturgique officielle jusqu’au IIIe siècle.

Le latin fut donc en Afrique, la langue des calendriers, des pièces d’archives, des récits des martyres, des biographies des saints…

Il fut aussi la langue de la rhétorique, de la philosophie, du droit, de la littérature... Avec plusieurs illustres représentants d’origine berbère rangés dans les dictionnaires comme latins malgré leur africanité incontestée.

Sur ce plan linguistique, «le berbère n’a pas fait que recevoir et intégrer intimement l’Etranger!», écrit Salem Chaker, selon lequel «il a aussi beaucoup donné à la Méditerranée».

Des similitudes ont été ainsi relevées entre le berbère, le latin et le grec particulièrement dans le domaine de la faune et de la flore renvoyant à «des réalités botaniques ou zoologiques indigènes ou à tout le moins très anciennement établies en Afrique du Nord», précise le spécialiste de linguistique berbère, qui donne quelques exemples: faucon/falco en latin, afalku en berbère ; pin/taeda en latin/tayda en berbère ; fougère/filix en latin, filica/ifilku en berbère ; orme/ulmus en latin, ulmu en berbère ; pois-chiche/cicer en latin, ikiker en berbère...

Bref, il s’agit là d’une thématique des plus passionnantes, méritant de plus amples recherches, ne serait-ce que pour rompre avec la vision uniciste en vigueur, sans toutefois basculer dans les travers ethnocentristes pointés en préambule; aucune civilisation ne pouvant se targuer de détenir sa culture ex nihilo ni de sortir de la cuisse de Jupiter.

Par Mouna Hachim
Le 11/12/2021 à 11h00