Quand le «Système» algérien emprisonne Noureddine Aït Hamouda

L’Afrique réelle

ChroniqueL’inflation des moudjahidine s’explique car, en Algérie, plus de 50 ans après l’indépendance, l’on demande encore la carte d’ancien moudjahidine et certains qui n’avaient pas 10 ans en 1962 l’ont obtenue. En 1963, l’Algérie comptait 6.000 moudjahidine. En 2010, leur nombre a bondi à 1,5 million.

Le 06/07/2021 à 11h00

A la suite de la furieuse polémique provoquée par ses déclarations qualifiant de «traîtres», entre autres, l’émir Abd el-Kader ainsi que le président Boumédiène, sur plainte de l’ONM (Office national des Moujahidine), Noureddine Aït Hamouda, fils du colonel Amirouche Aït Hamouda, chef emblématique du maquis kabyle de la willaya III tué au combat le 29 mars 1959, a été incarcéré.

Le contentieux entre Nouredine Aït Hamouda et l’ONM est à la fois ancien et lourd. En 2008, alors député du RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie), Nouredine Aït Hamouda avait en effet déjà provoqué un tumulte quand, dans l’hémicycle, il avait dénoncé le scandale des faux moudjahidine et pulvérisé le mythe du 1,5 million morts causés par la guerre d’indépendance, chiffre permettant selon lui au «Système» de justifier le nombre des «ayants-droit», notamment celui des veuves et des orphelins. Or, toujours selon Nouredine Aït Hamouda, sur les 2 millions de porteurs de la carte de moudjahidine et d’ «ayants-droit», les ¾ seraient des faux…Ce qui a été confirmé en 2015 par l’ancien ministre Abdeslam Ali Rachidi, quand il déclara que «tout le monde sait que 90% de ces anciens combattants, les moudjahidine, sont des faux».

Contrairement à la loi naturelle voulant que plus on avance dans le temps, moins il y a de gens qui ont connu Haroun al-Rachid, en Algérie, plus les années passent, et plus le nombre des «anciens combattants» et d’«ayants-droit» augmente… Fin 1962-début 1963, l’Algérie comptait ainsi 6.000 moudjahidine identifiés et 70.000 en 1972. En 2007, les moudjahidine et leurs ayants-droit étaient 200.000, puis, en 2010, leur nombre avait bondi à 1,5 million, soit 8 fois plus.... Et pourtant, dans son livre publié en 1997, Benyoucef Benkhedda, dernier président du GPRA, écrit qu’à la fin de la guerre, les maquis de l’intérieur comptaient 35.000 combattants (15.200 selon le 2° Bureau français), à savoir 7.000 pour la wilaya I, 5.000 pour la II, 6.000 pour la III, 12.000 pour la IV, 4.000 pour la V et 1.000 pour la VI. Comme les effectifs de l’ALN, l’armée des frontières, étaient d’un peu plus de 30.000 hommes selon les chiffres algériens, les effectifs combattants nationalistes étaient donc d’environ 70.000 hommes.

L’inflation des moudjahidine s’explique car, en Algérie, plus d’un demi-siècle après l’indépendance, l’on demande encore la carte d’ancien moudjahidine et certains, qui n’avaient pas 10 ans en 1962, l’ont obtenue… Pour être reconnu moudjahidine, nul besoin de lourdes formalités. Il suffit à l’impétrant que deux témoins attestent de ses «hauts faits guerriers» pour qu’il reçoive l’Attestation communale d’ancien combattant. Ce document lui permet ensuite de faire valider cette précieuse qualité par la généreuse commission de reconnaissance.

L’emblématique «affaire Mellouk» illustre cette comédie. Ayant osé dénoncer plusieurs dizaines de ses confrères qui auraient attribué contre rétribution la qualité de moudjahidine à un nombre considérable de faux demandeurs, le juge Benyoucef Mellouk fut pourchassé par l’ONM, exclu de la magistrature et condamné à la prison.

La recherche effrénée du statut d’ancien moudjahidine s’explique parce que les titulaires de la précieuse carte, ainsi que leurs ayants-droit, touchent une rente de l’Etat, bénéficient de prérogatives, jouissent de prébendes et disposent de passe-droits. Cette carte permet d’obtenir une licence de taxi ou de débit de boisson, des facilités d’importation, notamment de voitures hors taxes, des réductions du prix des billets d’avion, des facilités de crédit, des emplois réservés, des possibilités de départ à la retraite, des avancements plus rapides, des priorités au logement etc.

Le Ministère des Moudjahidine, façade institutionnelle de l’ONM, bénéficie du 3ème budget de l’Etat. En 2017, avec 245 milliards de dinars (mds/dz) -en fonction du taux de change environ 2 milliards d’euros-, le budget du ministère se situait juste derrière ceux de l’Education et de la Défense. A titre de comparaison, le budget du Ministère de l’Agriculture était alors de 212 mds/dz, celui du Travail, de l’emploi et de la sécurité sociale, de 151, celui des Finances, de 87, celui de la Justice, de 72, celui de la Solidarité nationale, de 70, celui de l’Energie, de 44, celui de la Formation professionnelle, de 48, celui de la Jeunesse et sports, de 34, celui de la Communication, de 18, celui de la Culture, de 16, celui de l’Industrie et des mines, de 4 et celui de l’Aménagement du Territoire, de 3.

Les titulaires de la carte constituent l’ossature populaire du «Système», leur poids politique s’exerçant à travers le maillage du pays par plusieurs associations nationales.

Ainsi, l’ONEC (Organisation nationale des enfants de chouhada (martyrs), le CNEC (Coordination nationale des enfants de chouhada) ou encore l’ONEM (Organisation nationale des enfants de moudjahidine). Cette dernière, qui compte 1,5 million d’adhérents, a des antennes dans toute l’Algérie et même en France. Le nombre de ses membres s’explique car, dans un entretien en date du 27 octobre 2004 donné à Libération, M’barak Khalfa, alors dirigeant de l’ONEM, a déclaré sans rire que, comme: « (…) il y a eu au moins un million (!!!) de moudjahidine (rappel: 70.000 pour Benyoucef Benkhedda, dernier président du GPRA) cela fait six ou sept millions d’enfants et donc de membres potentiels. Au rythme actuel, on va finir par dépasser les effectifs de l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens)».

Non contents de s’être fait voler l’indépendance par les planqués de l’armée des frontières (ALN) durant l’été 1962, voilà que les vrais maquisards, ceux de l’intérieur, ceux qui ont effectivement lutté contre l’armée française, doivent supporter d’être assimilés aux imposteurs porteurs, tout comme eux, de la carte de moudjahidine.

Voilà pourquoi, en 2003, plusieurs authentiques anciens combattants issus de toute l’Algérie ont constitué l’Association de lutte contre les faux Moudjahidine, car, selon eux, à l’époque l’ONM comptait 80% de faux maquisards… dont, selon Liberté-Algérie du 28 octobre 2003, le ministre des moudjahidine de l’époque en personne…

Selon le colonel Ahmed Bencherif, ancien patron de la gendarmerie nationale et président de l’Association de lutte contre les faux Moudjahidine, en 2003, 750 millions de dinars, étaient versés chaque mois à de faux moudjahidine. Selon le quotidien El Watan en date du 10 février 2007, sur une population de 70.000 personnes, la seule ville d’Aïn Defla comptait 14.000 faux moudjahidine, dont 1.300 femmes… Quant à Koléa, dans la Mitidja, 2/3 de ses moudjahidine étaient des imposteurs (Libération, 27 octobre 2004).

Comme l’a déclaré Abid Mustapha, ancien colonel de la Wilaya V, au sein des instances dirigeantes de l’ONM, «nous (les vrais combattants), sommes devenus une minorité! Ceux qui occupent les responsabilités au sein du conseil national de l’ONM sont des faux».

Voilà pourquoi Noureddine Aït Hamouda a été envoyé en prison. Parce qu’il a touché au cœur la «légitimité» historique d’un «Système» qui gouverne mal, mais qui, en revanche, se défend bien…

Par Bernard Lugan
Le 06/07/2021 à 11h00