Peul, Bambara et Dogon: des conflits séculaires

L’Afrique réelle

ChroniqueDans l’ouest africain, le souvenir de ces épisodes n’est pas le même selon qu’ils sont racontés par les Peul ou par leurs victimes. Pour les premiers, El Hadj Omar est un héros de la cause peul et islamique. Les Maliens d’origine bambara le voient comme un conquérant cruel dont l’impérialisme pillard fut camouflé par un justificatif religieux.

Le 19/04/2022 à 12h08

Les récents évènements qui ensanglantent le Mali et le Burkina Faso opposant Peul, Dogon et Bambara résultent d’évènements datant de la fin du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe siècle, quand le paysage politique de l’ouest africain sahélien fut remodelé en profondeur par des éleveurs Peul inspirés par le jihad. Or, les principales résistances à cette expansion furent le fait des Bambara ainsi que des Dogon.

Tout commença chez les Peul du Fouta-Toro et du Fouta-Djalon durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, puis, au début du XIXe siècle, le mouvement s’étendit à l’ensemble du Sahel à travers trois grands jihad peul. Le premier, celui d’Ousmane (Othman) dan Fodio qui débuta en 1804 concerna le pays Haoussa, alors que l’actuel Mali fut touché par ceux de Seku Ahmadou au Macina en 1818 et d’El-Hadj Omar à partir de 1852.

Seku AhmadouAu début du XIXe siècle, les Peul vivant dans les royaumes bambara du Kaarta et de Ségou, se soulevèrent contre leurs maîtres animistes. Le mouvement fut lancé par Seku Ahmadu né vers 1773. Il se rendit à Sokoto auprès d’Ousmane dan Fodio, le conquérant peul des principautés haoussa, qui lui conféra le titre de Cheik, d’où son nom de Seku (Cheikou) Ahmadou. Fort de cette reconnaissance, il revint vers l’ouest et entreprit de combattre le Kaarta et le Macina alliés au royaume bambara de Ségou. Le Macina fut battu à la bataille de Noukouma au mois de mars 1818.

Poursuivant ses campagnes, en 1819, Seku Ahmadou s’empara de Djenné et il se donna une capitale, Hamdallahi (louange à Dieu), ville qu’il fonda en 1820. Dans les années suivantes, il élargit ses conquêtes, y englobant Tombouctou; vers le sud, il les étendit jusqu’à la confluence du Sourou et de la Volta Noire. L’empire peul qu’il constitua prit le nom de Macina.

Après sa mort survenue en 1844, Tombouctou se libéra et son fils Ahmadu Seku (1845-1853) lui succéda. Il combattit les Bambara du Saro, région comprise entre Ségou et Djenné, et qui étaient toujours réfractaires à l’islam, ainsi que les Touareg de la région de Tombouctou.

Le royaume d’El Hadj-Omar (ou empire Toucouleur1 ou Torodbe)Omar Tall dit el-Hadj-Omar naquit dans le Fouta Toro, en 1796. Au mois de juillet 1857, il tenta d’enlever Médine, poste français très avancé situé sur le haut Sénégal, afin de s’ouvrir une voie vers le bas-Sénégal, mais il fut défait par le colonel Louis Faidherbe. C’est alors qu’il prit la décision de se tourner vers l’est et il s’attaqua aux Bambara de Segou et du Kaarta qui avaient réussi à échapper à la conquête de Seku Ahmadou. Le moment était bien choisi car les Bambara du Kaarta étaient alors en pleine guerre dynastique. Profitant de cette division, il prit Nioro la capitale du Kaarta. En 1859 il s’attaqua à Ségou, la principale cité bambara. La ville fut prise en 1861 et le souverain bambara se réfugia au Macina peul alors dirigé par Ahmadu-Ahmadu, le petit-fils de Seku Ahmadu.

Les raisons qui firent qu’El-Hadj Omar et Ahmadu-Ahmadu, tous deux Peul, se combattirent tiennent à la rivalité entre les deux hommes. El-Hadj Omar avait en effet proposé une alliance au souverain du Macina, mais ce dernier qui craignait de perdre toute influence sur la région, avait décliné sa proposition.

Le premier affrontement entre l’armée du Macina renforcée de contingents bambara et celle d’El Hadj Omar eut lieu devant la ville de Sansanding en 1861. La bataille tourna à l’avantage du second qui marcha ensuite sur Hamdallahi qui fut prise en 1862. El Hadj Omar mit alors à la tête du Macina son propre fils Ahmadu Tall.

Tout le Macina n’était cependant pas conquis. C’est ainsi qu’à Tombouctou, ville contrôlée par le clan arabe des Kunta et dont le chef, El Bekay, était un notable de la confrérie Kadiriya, la résistance s’organisa. El Bekay avait soutenu les Bambara avant d’entrer lui-même en guerre et c’est en le combattant qu’en 1864, El Hadj Omar trouva la mort en pays dogon, sur les plateaux de Bandiagara dans le sud du Mali actuel.

Son fils Ahmadu Tall lui succéda (1864-1878) mais, durant son «règne», il lui fallut affronter d’abord ses frères, puis nombre de chefs de clans, cependant que les Bambara qui n’étaient toujours pas islamisés refusaient l’autorité du second empire peul du Macina.

Dans l’ouest africain, le souvenir de ces épisodes n’est pas le même selon qu’ils sont racontés par les Peul ou par leurs victimes. Pour les premiers, El Hadj Omar est un héros de la cause peul et islamique. Les Maliens d’origine bambara le voient comme un conquérant cruel et sanguinaire dont l’impérialisme pillard fut camouflé par un justificatif religieux. Voilà qui explique largement pourquoi l’armée malienne, à très grande dominante Bambara-Malinké, considère les Peul comme des ennemis séculaires.

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 1Déformation du nom de Tekrour. Les Toucouleurs qui sont issus d’un mélange entre Peul et Sérères. La société toucouleur est composée de douze castes dont une est supérieure, celle des Toorobbê ou Torodbe.

Par Bernard Lugan
Le 19/04/2022 à 12h08