Depuis plusieurs mois, un vent mauvais souffle sur le Sahel, plus particulièrement sur le Burkina Faso où, accusés d’être leurs complices, les Peuls sont menacés par les ethnies subissant les exactions des jihadistes. Résultat, les Peuls se regroupent pour se défendre et, avec habileté, les groupes terroristes utilisent leur ressentiment et leur implantation transnationale pour tenter d’étendre leurs actions à tout le Sahel et à la région soudanienne.
Les Peuls sont au total entre 40 et 65 millions selon que l’on compte ou non tous les halpulaar, ceux qui parlent le peul, soit les Peuls et les Toucouleurs. Ils forment un peuple dispersé à travers l’Ouest africain. Zébré par les frontières post-coloniales, l’espace peul court sur treize Etats, de l’Atlantique sénégalais jusqu’à la région tchadienne. La pression démographique fait que, depuis plusieurs années, leurs couloirs de transhumance étant peu à peu colonisés par les agriculteurs, les pasteurs peuls sont de plus en plus en butte à l’hostilité des sédentaires. Se sentant discriminés, ils sont donc de plus en plus sensibles aux sirènes jihadistes qui utilisent leur frustration pour déstabiliser le sud du Sahel et le monde soudanais.
Si le paroxysme des violences anti-Peuls se trouve au Burkina Faso où les massacres se multiplient depuis plusieurs mois, c’est en réalité tout l’Ouest africain qui est menacé. En 2020, les autorités béninoises ont ainsi interdit la transhumance transfrontalière, ce qui a encore amplifié le sentiment d’injustice ressenti par les Peuls.
Depuis le 11 juin 2020 et l’attaque jihadiste de Kafolo qui coûta la vie à 14 soldats ivoiriens, la frontière entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire est devenue zone de guerre. Une vingtaine d’assaillants de Kafolo, de complices ou de commanditaires ont été arrêtés, or, il s’agit de Peuls. L’enquête a même montré que les assaillants avaient bénéficié de soutien ou de complicité chez certains membres locaux de leur ethnie, et cela d’autant plus facilement que les transhumances se jouent des frontières. Sans parler du Mali où les affrontements opposent constamment Peuls et Dogons.
Nous sommes en réalité en présence de la résurgence de conflits datant de la fin du XVIIIe et de la première moitié du XIXe siècle, quand la région fut dévastée et conquise par des éleveurs peuls dont l’impérialisme s’abritait derrière le paravent religieux. Il y eut alors trois jihads peuls:
-celui d’Ousmane dan Fodio qui débuta en 1804 dévasta le pays Haoussa;
-celui de Seku Ahmadou ravagea le Macina à partir de 1818,
-quant à celui d’El-Hadj Omar, il s’étendit à toute la région de la boucle du Niger ainsi qu’au Macina à partir de 1852.
Partout, les sédentaires furent alors razziés pour être réduits en esclavage. Au Mali, les principales victimes furent les Bambaras et les Dogons. Au Burkina Faso, dans le Gourma, la constitution de l’émirat peul du Liptako se fit par l’ethnocide des Gourmantchés et des Kurumba. Le phénomène d’expansion des Peuls fut stoppé par la conquête coloniale des années 1895, qui fut une délivrance pour les peuples sédentaires.
Aujourd’hui, dans l’Ouest africain, le jihadisme a réveillé de vieux et tragiques souvenirs chez ceux qui ont tendance à voir dans les actuelles attaques jihadistes la répétition d’évènements dont leurs ancêtres avaient été délivrés par la colonisation.