L’écrire était une épreuve laborieuse: passer des jours à chercher de tendres mots exprimant la passion dévorante, remplir des brouillons, les froisser, les jeter. Reprendre encore. Relire maintes fois. Au besoin, demander l’aide d’un proche qui maîtrise le langage romantique et la poésie. Puiser dans les livres, plagier des poèmes; lire et relire.
Chercher un joli papier et une belle enveloppe dont la couleur exprime l’ardeur de l’amour. Des cartes postales parfumées, avec des paillettes or ou argent: cœur gonflé ou saignant, un couple enlacé, les yeux dans les yeux. Choisir le stylo, recopier à partir du brouillon. Soigner l’écriture ou la faire écrire par un proche ayant une belle écriture. Chaque mot est gorgé d’amour.
Dessiner un cœur rouge, traversé par une flèche d’où coulent des gouttes de sang. Imbiber la lettre de parfum, y coller des pétales de rose séchées. Les filles pouvaient y joindre une mèche de cheveux, se colorer les lèvres de rouge et déposer un baiser brûlant sur la feuille pour y laisser la trace sensuelle d’une bouche assoiffée d’amour.
Ajouter sa photo style romantique, regard attendrissant, exprimant les tourments de la passion et l’espoir d’une rencontre. Il fallait avoir les moyens: un appareil photo, acheter la pellicule, attendre des jours pour le tirage en laboratoire… Lécher l’enveloppe pour la fermer.
Courir acheter un timbre, le lécher et glisser la lettre dans une boîte aux lettres.
Tempérer son ardeur pendant des jours. Guetter le facteur pour savoir si l’être aimé partage votre passion ou s’il va vous envoyer balader.
Les filles devaient être prudentes et soudoyaient le facteur pour qu’il ne glisse pas les lettres dans la boîte des parents, mais dans celle des complices: voisine, épicier...
Les filles n’avaient pas le droit de parler aux garçons, ni d’être vues en leur compagnie dans la rue. Les familles nanties avaient un téléphone à domicile mais impossible d’y recevoir d’appels.
Hassan: «il était difficile d’approcher la fille. Il fallait trouver un messager: le petit frère soudoyé avec des bonbons, un voisin… Surveiller la maison et quand les parents sortent, se pointer face à sa fenêtre…»
Parfois, la lettre d’amour était transformée en fusée et envoyée dans la direction de la fille, en classe ou dans la rue.
Les filles étaient sincères dans leurs lettres. Les hommes, eux, pas toujours. Abdou: «les filles rêvaient d’histoires d’amour comme celles des films égyptiens. J’étais devenu expert en lettre d’amour. J’avais un livre contenant une centaine de modèles. Je passais mon temps à les copier. J’étais un pêcheur qui jette plusieurs hameçons à l’eau, dans l’espoir d’attraper un poisson. Parfois, j’utilisais du papier carbone pour écrire plusieurs lettres à la fois».
Aïcha: «j’étais amoureuse d’un voisin qui m’a envoyé une lettre. Heureuse, je l’ai faite lire à mes quatre amies. Le salaud avait écrit la même à nous toutes».
Les lettres étaient conservées secrètement et jalousement, relues des centaines de fois, embrassées… Arrosées de larmes féminines en cas de déception!
Mais finie la lettre d’amour, les mots savoureux, les poèmes enivrants… La mixité facilite le contact. Internet a révolutionné la communication. Les messages sont concis, véhiculés à travers des canaux gratuits. Plus besoin de chercher les mots romantiques. Un «Je t’aime», ou «Tu me plais» suffit.
Encore plus simples, les émoticônes: juste appuyer sur un bouton.
Les tendres phrases en français ou arabe sont remplacées par des abréviations en arabe dialectal, transcrites en caractères latins. Les jeunes connectés sont dans l’ère de la vitesse: «ni le temps, ni la patience d’écrire et d’attendre la réponse. J’envoie un message par SMS, WhatsApp, un email, Facebook, Bluetooth … Une image clip d’un couple qui s’embrasse, une vidéo tiktok... Si elle est intéressée, on concrétise. C’est ach-chane, ata-tane».
De rares hommes continuent à envoyer des messages d’amour élaborés, mais attention Messieurs à la triche: «je lui ai envoyé une belle lettre d’amour, copiée-collée. La salope a mis le texte dans google et a trouvé l’original. Elle m’a envoyé la photo d’un âne!». Les émoticônes remplacent les mots:
Fayçal: «je lui envoie un cœur qui palpite, des lèvres animées. Si j’écris, c’est un ou deux mots: «mimicha (chaton), hbiba, love, moute (je meurs)…»
Mais la créativité est appréciée. Selma: «je refuse les émoticônes. Je suis séduite par l’homme qui m’envoie des messages sortant de l’ordinaire. Ça prouve qu’il est intelligent et qu’il fait des efforts pour moi».
Les techniques d’approche ont évolué. «Nous sommes plus directes. Tu veux une fille? Tu l’invites via les réseaux sociaux. Elle veut? Tu conclus, sinon passe à une autre!».
Alors que les filles attendaient passivement d’être abordées par les hommes, aujourd’hui, elles en prennent l’initiative. Selma: «les réseaux sociaux ont donné aux filles une grande confiance en elles et une autonomie. Si un homme te plaît, tu le contactes… Ou plus, si affinité! Tu n’es plus comme une marchandise exposée à la volonté masculine».
Les femmes tiennent fermement à ce que leurs bien-aimés leur expriment leur amour. Les moins jeunes des hommes souffrent d’un blocage, muselés par une culture qui leur inculque que l’homme fort, viril, n’exprime pas son amour. Les plus jeunes expriment plus l’amour, même si c’est souvent à travers le web et les émoticônes. Un tabou qui se brise et une évolution à saluer.
La lettre d’amour est en extinction. Mais profitons de la Saint-Valentin pour exprimer notre amour, chacun et chacune à notre façon, à celui ou celle que nous aimons, quel qu’en soit le moyen et le canal. C’est gratuit, aimable et ça cimente la relation.