Pour vivre en collectivité dans la sécurité, il faut des limites. Dans les tribus primitives, l’ordre était contrôlé par les membres. Tout écart était sanctionné selon les coutumes. Les sociétés appliquaient la loi du Talion: œil pour œil, dent pour dent pour venger les victimes et donner l’exemple pour discipliner les populations.
Plus tard, les états ont établi des lois et en ont fait des textes devenus des codes pour sanctionner chaque type de non-respect des lois.
La peine de mort, sanction la plus dure, a été la plus courante à travers les siècles.
Dans le pourtour méditerranéen, le premier texte de loi fut le Code d’Hammourabi, il y a 27 siècles, qui regroupait 20 transgressions passibles de mort.
Le système carcéral n’était pas encore organisé. Le coupable était tué, ce qui satisfaisait les familles des victimes.
Plus tard, les trois religions monothéistes ont imposé des exécutions collectives par lapidation pour sanctionner les écarts religieux, la fornication, l’adultère…
A travers les siècles, les sociétés ont allégé les sanctions relatives à la peine de mort, l’imposant pour des cas graves, tels les meurtres.
Les Etats prennent le monopole de l’application des sanctions et interdisent aux populations de se faire justice elles-mêmes. Des structures sont créées, chargées de l’évaluation des transgressions et des verdicts, dont les tribunaux.
Des sanctions alternatives à la peine de mort furent établies: prison, flagellation, bannissement, compensations financières à la victime ou à sa famille, confiscation des biens, amendes…
Aujourd’hui, 141 pays ont aboli la peine de mort, dont ceux d’Europe. Mais 53 pays continuent à la pratiquer, dont la majorité des pays arabes.
28 pays prévoient la peine de mort dans leur législation sans l'appliquer.
L’Arabie saoudite figure parmi les pays où le nombre d’exécutions est le plus élevé au monde. Mais le condamné peut être sauvé si sa famille paye dya (le prix du sang), un concept musulman non pratiqué au Maroc. La famille du coupable choisit un médiateur qui fixe la somme, souvent faramineuse, avec la famille de la victime. Des appels aux dons sont organisés avec l’autorisation des autorités.
La peine de mort a toujours divisé philosophes, intellectuels et politiques. Voltaire et Rousseau étaient pour, mais sans torture. Victor Hugo était contre et suggérait l’incarcération à perpétuité. Pour Jean Jaurès, la précarité, les mauvaises conditions de vie, les traumatismes peuvent faire d’une personne un assassin. Elle-même victime, elle ne doit pas être tuée.
Le Maroc n’a pas aboli la peine capitale, mais ne la pratique plus depuis l’exécution du commissaire Tabit, en 1993. En 2018, il y eu 10 condamnations à mort. Aujourd’hui, 93 personnes condamnées, dont 5 femmes, n’ont jamais été exécutées.
Pour les abolitionnistes, il est insensé d’interdire le meurtre à une personne et la tuer si elle l’accomplit. Une sanction doit servir à éduquer le coupable et à donner l’exemple et non à le tuer: l’acte de tuer est une barbarie. En outre, tuer est un châtiment irrévocable, d’où le risque d'exécuter des innocents. Depuis 1973, aux USA, plus de 184 condamnés à mort ont été innocentés.
Pour les défenseurs de la peine capitale, le coupable est un danger pour les citoyens car il peut récidiver. Il faut le tuer pour satisfaire le besoin de vengeance de la famille de la victime. Mais la mort n’est-elle pas une délivrance plus douce que l’emprisonnement à vie?
Pour certains, tuer revient moins cher qu’entretenir un prisonnier. D’autres s’accrochent aux recommandations religieuses. Mais la loi du Talion et couper la main du voleur ne sont plus appliqués (sauf en Arabie Saoudite). Pourquoi bloquer sur la peine de mort sous prétexte qu’on ne peut changer les préceptes du Coran?
Pour d’autres, abolir cette sanction encouragerait les crimes. Les pays qui l’ont abolie prouvent le contraire. Le taux de criminalité a même chuté car l’emprisonnement est encadré par une rééducation et une préparation performante pour la réinsertion familiale, professionnelle et sociale, ce qui diminue considérablement la menace des récidives.
Au Maroc, les abolitionnistes se renforcent: création de la Coalition marocaine contre la peine de mort qui regroupe l’Observatoire marocain des prisons, l’Association marocaine des droits humains, le Forum marocain pour la vérité et la justice, l’Organisation marocaine des droits humains, l’Association des barreaux d’avocats au Maroc, Amnesty International-section marocaine et le Centre pour les droits des gens. D’autres organismes s’activent: le Réseau des parlementaires contre la peine de mort, le Réseau des avocats contre la peine de mort, le Réseau des journalistes contre la peine de mort.
A l’initiative de Driss El Yazami, Mahi Binebine et Younès Ajjaraï, s’est organisée une action pour l’abolition de la peine capitale.
Des débats et des expositions à Rabat, Marrakech et Casablanca ont eu un grand succès. Une initiative qui a fait dialoguer la littérature et l’art plastique au service d’une noble cause.
Un livre a été édité sur le droit de vivre*, regroupant 27 intellectuels et écrivains, 13 plasticiens, dont 7 femmes.
Lors du Forum mondial des droits de l’Homme (2014, Marrakech), le Souverain marocain a soutenu cette cause: «nous nous félicitons du débat, autour de la peine de mort, mené à l’initiative de la société civile et de nombreux parlementaires et juristes. Il permettra la maturation et l’approfondissement de cette problématique».
Nous espérons un aboutissement rapide du débat afin de garantir le droit de vivre à tous, tel que le mentionne l’article 20 de la Constitution.
*Le Droit de vivre, une initiative personnelle pour l’abolition de la peine de mort (Collectif, La Croisée des Chemins, 2021).