Le 29 octobre 2004, je reçois une journaliste hollandaise qui me propose une campagne contre les mariages forcés, avec la projection d’un court-métrage de Theo Van Gogh. Partie à Laâyoune, elle devait revenir pour la réalisation du projet.
Lorsque j’ai visionné la cassette, je l’ai alertée: «je refuse de cautionner le contenu. Je te conseille de t’en éloigner. Le réalisateur risque d’être assassiné».
Ce n’était pas mon souhait, mais plutôt du bon sens. Theo Van Gogh était un polémiste, aux idées controversées sur les juifs et les musulmans. Après les attentats du 11 septembre, il qualifia le Prophète Mohammed de «violeur de petites filles» et les musulmans «d’enculeurs de chèvres».
Dans ce court-métrage, des versets du Coran sont inscrits sur le corps dénudé d’une femme qui reproche à Dieu les abus qu’elle a subis à cause du Coran. Le 2 novembre 2004, Theo Van Gogh est assassiné. Atroce! Mais il y avait des leçons à retenir.
Janvier 2015, l’attentat de Charlie Hebdo: 12 morts et 11 blessés, pour avoir publié des caricatures outrageuses du Prophète Mohammed.
Aucune leçon n’a été retenue. D’autres attentats, d’autres victimes… Auxquelles s’ajoute le professeur Samuel Paty, une autre victime de ces caricatures et de la violence qu’elles déclenchent. Face à ces atrocités, vous promettez, Monsieur le Président, que les caricatures continueront à être publiées.
Monsieur le Président… N’y a-t-il pas eu assez de drames au nom de la liberté que la France défend? De quelle liberté parlez-vous? De celle qui consiste d’abord à respecter les convictions d’autrui? Ou de celle qui bafoue toute croyance, toute différence et qui s’érige en modèle unique? Vous êtes le pays de la liberté d’expression et de conscience, certes. Mais permettez-moi de rappeler que l'hebdomadaire Charlie Hebdo se nommait auparavant Hara-kiri, qui a été censuré en 1970, après la publication de caricatures jugées par le ministre de l’Intérieur injurieuses à l’égard de la «sacralité de Charles de Gaulle», lors de ses obsèques.
Le pays de la liberté de conscience accorde la sacralité à un homme politique et la refuse à un prophète! Tous les Prophètes, juif, chrétien et musulman, sont sacrés pour les musulmans. Offenser leur sacralité est une atteinte aux fondements des droits de l’Homme.
Je m’adresse à vous en tant que Président de la nation qui m’a gratifiée d’une prestigieuse Légion d’Honneur, pour vous demander de cesser d’alimenter la haine. La liberté, telle qu’on me l’a inculquée dans ma culture et dans la culture française dans laquelle j’ai été formée, et qui m’est chère, consiste à respecter celle des autres, à ne pas blesser leur dignité, leur sensibilité, voire leur susceptibilité. L’assassin de Theo Van Gogh a déclaré: «j'ai agi par conviction, pas par haine».
Il serait naïf de penser que la provocation pourrait détruire une conviction. Au contraire, elle attise une violence que je dénonce fermement et qui n’a aucun lien avec l’islam. Par contre, vous avez le choix, Monsieur le Président, de continuer à provoquer ou d’apaiser! D’autant que la France compte plus de 5 millions de Français musulmans (et non de musulmans de France, comme vous les nommez) qui méritent du respect.
Vous êtes un pays laïc, mais la laïcité ne justifie pas l’offense aux valeurs d’autrui. Depuis le début des années 2000, les Français ont vécu des drames déplorables: bains de sang, perte de proches… Si au moins c’était pour de nobles causes. Juste parce que quelques journalistes veulent faire de la résistance. Mais de la résistance à quoi? En quoi des caricatures blasphématoires peuvent-elles faire avancer les libertés?
Je condamne tout fanatisme à la base de ces massacres d’innocents, mais je dénonce aussi une autre forme de fanatisme à la base de tout acte blasphématoire à l’égard de quelque croyance que ce soit.
Monsieur le Président, aujourd’hui, plus que jamais, les Etats et les peuples doivent se souder pour affronter une pandémie, un danger réel qui nous menace tous, quelles que soient nos croyances. Votre discours divise, au lieu de rassembler. Les Français ont-ils besoin, dans le contexte actuel, de subir les effets dramatiques d’un boycott de leurs produits par 1,8 milliard de musulmans? Ceux qui font de la provocation une vocation confortent la thèse complotiste selon laquelle l’Occident cherche à anéantir l’islam. Une poignée de journalistes qui alimentent le radicalisme et l’extrémisme. Le problème c’est que nous-mêmes, pays musulmans, par ricochet, nous subissons les effets de cet extrémisme qui grossit les rangs des terroristes. Si cette poignée ne l’a pas compris, qu’elle évalue à sa juste valeur la flambée que votre discours a provoqué dans les réseaux sociaux, chez les populations et les Etats qui ont exprimé leur indignation. Que cette poignée mesure les effets de sa position sur la sérénité des Français et celles des peuples froissés. Je viens d’apprendre, à l’instant, avec effroi, l’attentat de Nice. Trois morts! Sans commentaire!
Les Français viennent d’être reconfinés. Ont-ils besoin, en plus, de subir une psychose due à l’entêtement de ceux qui n’ont pas compris que, qu’on le veuille ou non, le blasphème éveille des instincts de vengeance incontrôlables. Je viens d’écouter Mme Morano, députée européenne. J’hallucine! Elle demande au Roi du Maroc d’intervenir… Mais intervenir comment? Auprès de chaque musulman convaincu que les caricatures insultent son Prophète? Elle dit que la France a des racines chrétiennes. Personne ne le lui conteste. Par contre, aucun musulman ne ridiculise la sacralité de cette religion!
Monsieur le Président, il serait urgent de redéfinir les limites de la liberté. Je vous en conjure, laissez votre peuple vivre sereinement, laissez-nous vivre, ensemble, en paix, en harmonie et déployons plutôt nos énergies à construire, ensemble, un monde meilleur, sans pandémie, sans rejet de l’autre… Dans l’acceptation et la paix universelle.