Souvent, l’être humain s’exprime spontanément, surtout sous la colère. Car, «lsane mafih 3dame», «pas d’os dans la langue»; elle est donc incontrôlable!
Mais une fois que le mot sort, impossible de l’effacer. Un adage marocain: le mot est comme le crachat, hors de la bouche, impossible de l’y remettre. Le mot blesse. Etonnant: des lettres, formant une phrase, blessent. La blessure peut être profonde. Cet adage marocain: «darba bi damha woulla kalma bissamha» («mieux vaut une blessure saignante, qu’un mot chargé de venin»). C’est dire l’impact des mots sur les émotions. Le mot n’est ni innocent, ni neutre. Chaque mot touche les émotions des autres. Le mot est magique, il peut amadouer une personne, la rendre docile ou éveiller son agressivité, la rendre désagréable, violente.
Sous la colère, on doit maîtriser ses mots, mettre des filtres, sinon on prononce des mots qu’on ne pense pas, pour blesser, se venger ou parce qu’on perd le contrôle de soi. L’autre est blessé par ce que j’appelle des mots explosifs, qui percent son corps tels des injections de poison. On peut s’excuser, mais le mal est fait: «excuse-moi, j’étais énervé! C’est sorti comme ça!». C’est parce que tu étais énervé que tu devais mettre des filtres pour ne pas débiter des mots explosifs.
En schématisant, on peut dire que l’être humain se comporte de deux manières: par son cœur ou par son esprit. Le cœur, c’est l’inconscient, les émotions, sentiments, réflexes, pulsions. C’est la spontanéité qu’on nous apprend à contrôler par l’éducation, la religion, les lois, les normes sociales… Quand on agit par son esprit, on est dans le conscient. On se contrôle et on contrôle ses émotions. On est factuel.
Les personnes qui essayent de maîtriser leur inconscient arrivent à être factuelles dans les moments de colère, sa3ate algadhabe. Ils mettent un filtre pour contrôler les mots afin de régler des problèmes et non de les amplifier. Dans une situation difficile, il est impératif de contrôler ses émotions et de choisir des mots qui, tel un pompier, éteignent le feu au lieu de l’attiser. Le mot est si important qu’il peut provoquer la bagarre, le divorce, envoyer à l’hôpital, en prison, au cimetière. Que de disputes se soldent par des coups fatals non prémédités! Parce que les mots ont été si violents que la personne perd la maîtrise d’elle-même et ne contrôle plus son côté bestial. Or moi je dis qu’en chacun de nous, même parmi les plus pacifiques, il y a un monstre qui repose. Quand on fait un travail sur soi pour mieux maîtriser ses émotions, le monstre se manifeste rarement. Les personnes colériques, non factuelles, qui utilisent souvent des mots et des gestes explosifs, n’arrivent pas à contrôler le monstre.
Un mot blessant peut réveiller le monstre! En communication, il y a le fond et la forme. Le fond, c’est l’idée qu’on veut exprimer; la forme, c’est comment on l’exprime, soit avec des mots neutres ou aimables qui établissent un dialogue, soit avec des mots explosifs qui créent le conflit. Un époux: «le dîner n’est pas prêt? Tu fais quoi toute la journée?». Réponse de l’épouse: «eh! Chui pas ton esclave. Viens le préparer toi-même».
Que de mots explosifs! Le couple crée un conflit pour rien. Imaginons un autre scénario: «s’il te plait, le dîner est prêt? J’ai faim». «Pas encore. Viens m’aider s’il te plaît, je suis en retard». Les mêmes idées exprimées, mais sans agressivité. Dans des moments difficiles, le mot peut provoquer un dialogue ou une violence. «Le dîner n’est pas encore prêt? Tu fais quoi toute la journée?». Là, on a le choix, soit déclarer la guerre, soit l’éviter. Est-ce que ça vaut la peine de créer une ambiance électrifiée, une dispute, des journées de rancœur, juste pour un dîner, pour une phrase exprimée maladroitement? On a le choix d’une réponse factuelle, à laquelle il est conseillé d’ajouter un mot doux genre: «Hbiba, chérie… ». Ainsi, on neutralise la violence. D’où la magie des mots.
A un enfant: «hmar (âne), va faire tes devoirs». «C’est l’heure des devoirs mon chou. Vas-y s’il te plaît». Les Sahraouis disent: «alfoume alli goule zmère, ygoule tmare» («la bouche qui dit «merde», peut dire «datte»»). D’une personne qui blesse, on dit «foummou khanèze» («sa bouche est puante»). Nous avons le choix: faire de notre bouche des égouts d’où débordent de l’eau puante, ou une ruche qui fait couler le plus savoureux des miels! On dit : «la3ssèle taykhrouje mine foumha» («de sa bouche coule le miel»)
Dans un moment de colère ou de réclamation, soyons empathiques: se mettre à la place de l’autre, sentir les émotions que les mots peuvent éveiller en lui: «si j’étais à sa place, avec quels mot j’aurais voulu qu’on me fasse la remarque?».
L’être humain est très sensible à «laklima lahlouwa» («le mot sucré»). «Un mot sucré et mange-moi avec mes habits»: («tu fais de moi ce que tu veux»). On dit: lahlaha a vaincu la magicienne (la femme au mot doux). Shéhérazade, dans les Mille et une nuits, a sauvé sa vie grâce à la magie des mots.
«Al kalima attayba sadaka» («la parole aimable est une aumône»). Aujourd’hui, nous avons besoin, plus que jamais, d’amabilité, de tendresse, de mots doux. Ils sont agréables et gratuits. A utiliser généreusement pour nous soutenir mutuellement, dans la bonté et la bienveillance.