Quand elle ne démantèle pas des cellules terroristes armées et endoctrinées jusqu’à la moelle, la police marocaine lance des coups de filet contre les bandes de déjeuneurs et de déjeuneuses, généralement des garçons et filles de bonne famille, en plein ramadan. Dit comme ça, ça a l’air d’une blague, une bonne, du genre que les humoristes marocains ont trop peur de balancer à leur public.
Mais ce n’est pas une blague. Le coup de filet a bien eu lieu. Oui, le «coup de filet» est une expression que l’on réserve habituellement au grand banditisme, à la traite de blanches, aux réseaux de trafic de drogue et d’armes, à ceux qui s’amusent à fabriquer des bombes en croyant ainsi plaire à Dieu. Vous avez un coup de fil d’un indic ou d’un citoyen renifleur, et la police qui débarque («descend» est plus approprié) pour rafler toute la smala.
On prend tout le monde et on fait le tri plus tard, au poste, chez le procureur ou devant le juge. Ce n’est pas pour rien que l’expression «coup de filet» est empruntée au jargon maritime. Les raflés sont des poissons: le plus important, c’est de les pêcher, et c’est après qu’on rangera les gros, les petits, et que l’on renverra le reste à la mer.
Le plus étonnant dans cette histoire, c’est que la police marocaine n’a pas l’habitude de se déplacer pour rien. Il faut du lourd. Du gros gibier ou alors une effusion de sang. Quand vous sollicitez son intervention pour une agression en cours, on vous dit: «Est-ce qu’il y a du sang?». Pardon? «Est-ce que le sang a coulé?».
Si pas de sang, débrouillez-vous tout seul!
Plus étonnant encore est le cas des dénonciateurs. Appelons-les les citoyens renifleurs. Leur attitude est extraordinaire. Il faut prendre le soin de l’analyser, et sous un angle anthropologique s’il vous plait.
Les types réalisent que près d’eux, une bande de jeunes filles et garçons prennent du bon temps. Ils s’amusent, ils rigolent, se touchent. Alors qu’on est en plein ramadan!
S’ils sont bien dans leur peau, s’ils ne semblent pas porter les malheurs du monde sur leurs jeunes épaules, s’ils sourient comme ça en plein jour, c’est qu’ils n’ont ni faim, ni soif. C’est une bande de déjeuneurs!
Et alors, me diriez-vous, en quoi est-ce que des jeunes cachés derrière les murs d’un café, et qui ne font pas de mal à une mouche, dérangent ou agressent la foi du citoyen renifleur? Si vous posez cette question, c’est que vous n’avez rien compris.
Il ne s’agit pas de foi ici, rien à voir, mais d’amour-propre.
Le citoyen renifleur, déjà très en colère à cause de la faim et de la soif, est généralement quelqu’un qui raisonne ainsi: «Pourquoi je dois me priver de tout, et pas eux? Ce n’est pas juste!». Il ressent une sorte de « hogra ». Pourquoi ça n’arrive qu’à lui?
C’est la même injustice quand la Direction générale des impôts vous épingle pour une broutille, et pas les autres qui accumulent les impayés. Ou quand vous êtes le seul à vous arrêter devant le feu et à marquer le stop, et pas les autres. Vous vous sentez con, vous avez la rage, vous avez la haine, vous en voulez à ces «autres».
Ce n’est pas leur incivisme qui vous indispose tant, mais l’injustice qui vous frappe. Pourquoi pas eux?
Si quelqu’un s’amuse à distribuer des gifles à tous vos amis, et pas à vous, vous savez ce qui va arriver? Vos amis vont vous haïr et chercher à se venger… de vous.
C’est tout, bonne fin de ramadan à toutes et à tous.