On ne quitte pas sa famille, on la change de l’intérieur

DR

ChroniqueSi vous êtes capables d’aimer la femme ou l’homme qui vous a tant de fois déçus, trompés ou bernés, alors n’hésitez pas : votez !

Le 01/10/2016 à 18h18

Voter est bien sûr un devoir. Mais ce n’est pas une obligation. Ceux qui ne votent pas n’en sont pas moins Marocains, égaux aux autres. Ils ont les mêmes droits et le même amour pour leur pays qui court dans les veines. Cela aussi, il faut le comprendre et l’accepter.

Au Maroc, l’histoire cumulée de toutes les élections a été une telle déception que celui qui continue de voter, alors qu’il a tant et tant de fois été déçu, voire berné, cet individu-là mérite une médaille. Il est courageux. Il est comme le fameux inspecteur Harry qui ne renonce jamais. Il remet le couvert à chaque fois, il y croit à chaque fois, en se disant que c’est la dernière fois. Et il n’y a jamais de dernière fois.

Voter, dans ces conditions, revient à aimer de nouveau une femme ou un homme en étant à peu près sûr d’être déçu. Il faut le faire ! Mais quand on y arrive, c’est magnifique, rien à dire. Parce que l’amour est plus fort que tout, et tant pis s’il est destructeur et emporte tout sur son passage.

Cette période électorale où tout le monde pousse tout le monde à voter, quitte à le faire en fermant les yeux, me rappelle une petite histoire personnelle. Je ferme les yeux à mon tour et je me souviens. J’ai connu une fille de notable qui disait que son père était le pire homme sur terre. Il trompait sa mère et il réduisait le personnel à son service à l’esclavage. C’est ce qu’elle disait. La jeune fille « tuait son père ». Ses frères aussi s’amusaient à tuer le père. Pourtant, le jour des élections, toute la fratrie réunie a mené campagne pour ce père tant haï, tant et tant de fois «tué». Je me souviens avoir demandé à la jeune femme, totalement ahuri : « Mais comment pouvez-vous soutenir et appeler à voter pour quelqu’un que vous détestez ? ». Elle m’a répondu : « Parce qu’on ne quitte pas sa famille ! » 

Cette histoire a bien sûr une morale. Voire deux. La première morale, c’est que les partis politiques, les vrais, ceux qui ont un enracinement dans la société, sont des affaires de famille. Ils ressemblent à des clubs de foot. On naît ittihadi (socialiste) ou istiqlalien, de droite ou de gauche, comme on naît rajaoui ou wydadi. C’est une affaire de transmission. Tel père, tel fils et telle fille, même si le fils et la fille s’amusent à tuer le père. 

La deuxième morale, qui nous intéresse le plus aujourd’hui, c’est qu’il vaut mieux changer une famille ou un parti de l’intérieur, plutôt que de les quitter. Même quand on est déçu.

Une famille ou un parti, dans le sens noble du terme, ce n’est pas une chemise qu’on change et qu’on jette.

En disant cela, j’ai une nostalgie particulière pour toutes ces familles marocaines restées fidèles à leurs couleurs. Contre vents et marées. Malgré les déceptions et malgré les défaites. Ce n’est pas de l’aveuglement mais de la fidélité. On a beau dire, ça n’a pas de prix.

Par Karim Boukhari
Le 01/10/2016 à 18h18