Je ne sais quoi penser du drame qui a frappé le Liban. Ma solidarité va aux femmes et aux hommes qui ont péri, aux êtres humains, et à ce petit pays qui a toujours eu un impact extraordinaire dans la région, et dans le monde aussi.
Dans son dernier livre, le testamentaire Le naufrage des civilisations, Amin Maalouf fait remonter à ce minuscule pays toute une série de dérèglements qui ont secoué le monde au cours des 40 ou 50 dernières années. Pourquoi le Liban? Qu’a-t-il de si particulier?
Peut-être parce que, comme me disait un ami libanais, «quand tu rencontres deux Libanais, tu peux être certain qu’ils n’ont presque rien à voir ensemble». Toutes les couleurs, les religions et les ethnies s’y côtoient. Ça peut donner des rencontres et des choses magnifiques. Mais cette richesse et cette mosaïque peuvent générer des conflits et des guerres sans fin.
Le pays du Levant, du cèdre, de Faïrouz et des frères Rahbani, est comme une petite goutte qui envoie des ronds dans tout l’océan. Pour le meilleur, bien sûr, mais aussi pour le pire…
Pourquoi je vous parle de tout cela, mes amis? Je ne sais pas exactement, sans doute l’émotion. Sans doute la colère et une certaine frustration aussi… Parce que depuis les terribles explosions de Beyrouth, j’ai lu ou entendu des choses écœurantes. Oui, écœurantes.
Comme ce salafiste marocain bien connu, qui «influence» des centaines et peut-être des milliers de personnes, et qui trouve le moyen d’écrire quelque chose comme: «Le plus dur, c’est que les explosions de Beyrouth ont touché le fief musulman sunnite de la ville…».
Quelle horreur! Et s’ils étaient chiites, il exploserait de joie, c’est cela l’idée?
Le communautarisme qui a longtemps déchiré le Liban est le même qui pousse certains à se solidariser avec un Liban (parce qu’il y en a plusieurs) et pas avec les autres Liban. C’est une catastrophe.
Cette solidarité sélective, et stupide, se comporte comme un détecteur des races, des nationalités, des couleurs de peau et des confessions parmi les victimes. Cette solidarité aveugle ne voit pas des êtres humains, elle ne voit que des sunnites, chiites, druzes, maronites, etc.
J’ai lu ou écouté des «solidaires» exprimer leur dégoût qu’un pays comme Israël propose son aide au Liban («Quoi, des juifs et des sionistes au secours des Arabes?»). Ils sont indignés qu’un Macron récolte un bain de foule à Beyrouth («De l’interventionnisme, du cinéma, du néocolonialisme!»).
Et si on leur dit qu’un enfant a été tué, ils vont attendre de connaitre la religion de son père avant de se décider à compatir ou pas, c’est cela le raisonnement?
Le naufrage des civilisations dont parlait Maalouf est là. Dans cette abstraction de l’élément le plus noble, c'est-à-dire l’humain, au profit de ces identités de substitution aussi dérisoires les unes que les autres.
Sunnites ou pas sunnites, on s’en fout. Les victimes du Liban sont des êtres humains et c’est pour cela que cela nous touche. Nous qui? Les êtres humains, rien d’autre.