Mourir à 30 ans

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ChroniqueJe n’ai bien sûr aucune leçon à donner à M. Benmoussa et à ses collaborateurs, mais le message qu’ils envoient aux «jeunes» de 30 ans et plus est vicieux, voire dangereux.

Le 27/11/2021 à 12h35

La polémique autour des conditions de recrutement des futurs enseignants, et notamment la limite d’âge (30 ans), mérite que tous y réfléchissent. C’est un point fondamental pour comprendre où on va, mais aussi d’où est-ce qu’on vient.

Il faut d’abord rappeler que le ministre de l’Education nationale, Chakib Benmoussa, est l’ancien président de la Commission spéciale sur le modèle de développement. Il est donc là pour réformer l’enseignement, marchepied nécessaire vers le développement humain du Maroc.

Quel est le rapport, alors, avec la limite d’âge des enseignants qui vont éduquer nos enfants? Aucun.

Bien sûr, plus le candidat est jeune, plus il est malléable, modulable, façonnable. On peut littéralement le travailler au corps pour en faire ce profil de l’enseignement modèle que l’on cherche à obtenir…

Mais cette jeunesse-là n’est pas uniquement liée à l’âge. Il y a des vocations tardives. Quand on a plus de 30 ans et que l’on veut devenir enseignant, ou que l’on se présente à tous les concours, cela ne veut pas dire que l’on a raté sa vie et que l’on n’est plus qu’un bon à rien.

Il ne faut pas oublier qu’un enseignant est un père qui va prendre en charge des jeunes gens. Y a–t-il un âge où on est bon père? Non. Il faut des qualités, il faut surtout de l’amour pour ce métier de père, de l’amour pour la jeunesse de son pays, et il faut avoir quelque chose à transmettre à ses «enfants», à ses élèves.

Parce qu’on ne leur transmet pas seulement un programme scolaire. On transmet aussi un peu de sa personnalité, de son vécu et de ses qualités humaines…accumulées avec le temps et le poids des ans.

Je n’ai bien sûr aucune leçon à donner à M. Benmoussa et à ses collaborateurs, qui ont certainement planché sur toutes ces questions. Mais le message qu’ils envoient aux «jeunes» de 30 ans et plus est vicieux, voire dangereux. Faut-il qu’ils trafiquent leur âge pour avoir les mêmes chances et les mêmes droits que les autres?

Dans un pays comme le Maroc, qui a besoin de cadres, de médecins, d’enseignants, d’ingénieurs, et donc aussi d’étudiants, il est philosophiquement absurde d’imposer des limites d’âge. Au contraire, il faut éliminer cette barrière et donner ses chances à tout le monde. Aux enseignants comme aux étudiants.

Les plus grandes émeutes de l’histoire du Maroc, qui ont eu lieu en 1965, sont parties d’une histoire de limitation d’âge. Un beau jour, le ministre de l’Education (déjà!) se réveille avec l’idée d’interdire l'accès du second cycle (de l’enseignement secondaire) aux jeunes de plus de 16 ans. Tu as 17 ans, mon fils? Tu es bon pour la rue.

Résultat, les jeunes et les moins jeunes ont déferlé dans les rues de Casablanca, et fini par remettre en cause jusqu’aux symboles et fondements de l’Etat marocain. Vous savez pourquoi? Parce que leur cause était juste.

On vient tout de même de cela, on est tous les enfants et les produits de cette histoire. Comment l’oublier?

(Note : le titre de cette chronique est tiré d’un film culte, qui raconte l’histoire d’un militant de Mai 68 qui s’est donné la mort avant ses 30 ans)

Par Karim Boukhari
Le 27/11/2021 à 12h35