Lettre à un ami africain

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ChroniqueJe venais d’assister et d’être complice par mon silence à une scène courte mais qui semblait durer une éternité. Une scène triste aussi, même si beaucoup des présents ont ri et ont du la trouver amusante de bout en bout. Le racisme quand il est banal, «simple» et ordinaire, terriblement ordinaire…

Le 11/03/2017 à 17h57

«Tu étais dans le tram, toi et tes amis. Vous regardiez les noms des stations écrits en arabe et vous n’arriviez pas à les lire. Les autres n’arrêtaient pas de vous regarder. Ils avaient compris votre malaise. Ils chuchotaient et l’un d’eux a dit, tout bas, en riant comme à une blague: « Ces Africains… ils ne savent pas lire l’arabe».

Vous avez fait la sourde oreille. Alors il a renchéri: «Vous les Africains…». Tu l’as tout de suite interrompu: «Pourquoi, tu n’es pas africain, toi?». Il n’a pas eu le temps de répondre. Un autre passager a pris le relais et t’a appelé «Togo». Tu as riposté: «Monsieur, je ne m’appelle pas Togo». Il a continué en te demandant, en darija: «Togo ou Congo, ou Bongo, tu dois apprendre l’arabe». Tu as répondu: «Je parle l’arabe, je comprends l’arabe, mais je ne lis pas l’arabe». Tu as ajouté: «Dans les aéroports, les gares, sur les routes aussi et partout dans ce pays, les écrits sont en arabe et en français, parfois même en amazigh, pourquoi pas le tram alors?». Il t’a dit: «Tu veux qu’on t’écrive les noms en Hallouf?». Il voulait dire wolof bien sûr, et ça tu l’as compris. Tu as répondu: « Non, pas en wolof, juste en français». Il t’a dit que le français n’était pas ta langue même si tu la parlais.

Tu lui as expliqué que le français n’était pas sa langue non plus, mais que c’était la langue de ceux qui ont colonisé une grande partie de l’Afrique. Tes amis étaient gênés, tout le monde était gêné. Quelqu’un vous a demandé: «A quelle station souhaitez-vous descendre?». Tu as répondu en écorchant le nom de la station. Tout le monde a ri de la sonorité de ton accent. Puis quelqu’un s’est écrié: «Mais la station (…) nous l’avons déjà dépassée». Il a dit cela en riant très fort. Il était le seul à rire. Il blaguait et vous ne le saviez pas. Vous vous êtes alors précipités pour quitter le tram.

Tu es ainsi parti, toi et tes amis, sans que personne n’ait pu ou su vous retenir. Quelqu’un vous a induit en erreur, par stupidité ou par autre chose, et nous n’avons rien fait pour l’en empêcher, ni pour rattraper le coup.

Je ne vais pas me donner le beau rôle, non. J’étais l’un des figurants silencieux de cette rame de trame, l’un de ceux qui ne regardent que leur téléphone comme s’il leur parlait. J’ai fait comme si je n’avais rien vu, rien entendu, et comme si je n’étais pas concerné. Je ne sais pas pourquoi. Mais il doit y avoir des raisons à cela.

Je venais d’assister et d’être complice par mon silence à une scène courte, mais qui semblait durer une éternité. Une scène triste aussi, même si beaucoup des présents ont ri et ont dû la trouver amusante de bout en bout. Pas tous, heureusement.

Si ce n’était pas du racisme, ça y ressemblait. J’en suis le témoin et finalement le complice. Le pire des racismes, celui de tous les jours, le racisme ordinaire, qui ne dit pas son nom.

Mon ami, je t’appelle «africain» parce que je ne connais pas ton nom. Je suis africain aussi. Et les autres dans la rame du tram aussi. Je ne vais pas te faire de discours parce que ce n’est pas un discours que je dois te faire, mais des excuses. Pardon.»

Par Karim Boukhari
Le 11/03/2017 à 17h57