Le royaume de l’enfance

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ChroniqueAlors, c’était mieux avant? Même pas, ne comptez pas sur moi pour tomber dans le panneau.

Le 26/06/2021 à 09h01

Le retour du parc de la Ligue arabe à Casablanca est un retour à la joie et à l’enfance. On entend d’ailleurs les enfants gazouiller à des kilomètres à la ronde. Le parc «dijeu» (des jeux), comme on l’appelait, a perdu son côté forain, cet air de campagne, il manque les auto-tamponneuses qui avaient valu à toute la jeunesse casablancaise des bleus aux genoux, il manque aussi les vendeurs de barbe à papa qu’on appelait «sofa». Mais l’herbe est toujours verte, et le lieu a conservé son côté hors du temps.

Comme hier, le parc donne envie d’avoir des enfants, pour les promener et les laisser jouer sans les surveiller comme le lait sur le feu. C’est un plaisir de les voir gambader et libérer toute leur énergie retenue. Le parc donne surtout envie de marcher, et on sait que marcher est quelque chose qui ne va pas de soi à Casablanca. Il faut être fou ou pauvre pour le faire.

Ici, on peut même marcher en regardant le ciel. Parce que la surface du sol est parfaitement égalisée, sans trou, ni nid de poule, chose quasi impossible ailleurs dans la cité blanche, où vous risquez une entorse de la cheville dès que vous foulez le sol.

J’ai marché dans les allées du parc comme je le faisais avant, en rêvassant. Le temps est suspendu. Les coureurs du dimanche sont là, évidemment. Il faut faire attention aux déjections d’oiseaux, réputées terribles dans le ciel du parc. Ces déjections peuvent être phénoménales. Mais c’est toujours mieux que de recevoir un ballon de foot dans la nuque. La mixité sociale est aussi de la partie, chose assez rare dans les autres espaces verts de la ville, où les riches fuient systématiquement les pauvres.

Le nouveau parc Yasmina ne ressemble donc ni à un moussem, ni aux aires de jeux des grandes surfaces commerciales. Le royaume de l’enfance n’est pas une crèche géante, il y a de la place pour tout le monde, même pour les amoureux qui se tiennent la main et qui semblent tout heureux d’échapper au traditionnel contrôle d’identité. Ici, tenez-vous bien, on peut se permettre le luxe d’être romantique. C’est-à-dire de tenir la main de sa moitié et de parler dans le vide, en mangeant des cacahuètes.

Alors, c’était mieux avant? Même pas, ne comptez pas sur moi pour tomber dans le panneau.

Que manque-t-il alors à ce lieu, qui possède déjà ce côté joyeusement bordélique que l’on observe dans toutes les places publiques casablancaise? Peut-être plus de toilettes pour empêcher les promeneurs dans le besoin de se soulager à l’ancienne, derrière un tronc d’arbre ou sous les plis d’une jellaba. Il manque aussi les petits box pour servir le café ou un plat rapide.

Il manque surtout un panneau, des dates et des photos d’époque pour rappeler l’histoire de ce lieu déjà centenaire, qui portait le nom de Lyautey et faisait partie du fameux Plan Prost en 1919. C’est toujours le même problème. On rénove mais on efface l’histoire. On fait comme si elle n’existait pas. Les indications «fondé par… fondé en… ici a vécu tel ou tel… ici a eu lieu tel ou tel fait d’histoire…» n’existent pratiquement pas à Casablanca. Connait pas.

Non loin du parc «dijeu», il existe d’ailleurs une coupole magnifique, une cathédrale majestueuse, une salle de théâtre très ancienne, etc. Personne ne connait l’histoire de ces endroits, dont certains sont fermés, parce qu’elle n’est pas affichée. C’est tout Casablanca, une ville qui restaure tout sauf sa mémoire.

Par Karim Boukhari
Le 26/06/2021 à 09h01