La fête des autres

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ChroniqueBien sûr, il y aura toujours des râleurs et des râleuses. Mais là, trop tard, il faudra y aller. Il faudra affronter la fête. Tête baissée, en serrant les dents et les fesses.

Le 17/07/2021 à 09h01

D’abord bonne fête à toutes et à tous. Et surtout aux autres, ceux qui ont quelque chose à redire, bonne fête à cette minorité qui râle et qu’il va falloir tendre l’oreille pour écouter. Ça sera utile, vous verrez.

La grande fête (Aïd el-Kébir) arrive au pire des moments. Celui où le virus que vous savez et son méchant variant atteignent des sommets et galopent encore. En revenant quelques peu en arrière, il y avait moyen d’annuler la fête, pour éviter de trop grands dégâts.

Mais là, trop tard, il faudra y aller. Il faudra affronter la fête. Tête baissée, en serrant les dents et les fesses. 

On pourra toujours dire: «Si on nous enlève la grande fête, que nous reste-t-il?». Argument implacable. La grande fête est le rendez-vous de la grande bouffe et des grandes retrouvailles. Des milliers de MRE sont d’ailleurs spécialement rentrés pour cela, pour ce jour, cette fête, cette bouffe, ces retrouvailles, ces moments où les adultes retournent en enfance et où les enfants jouent aux adultes.

Comment gérer tout cela? Comment éviter le pire? Les autorités marocaines, qui ont l’habitude de pratiquer le grand écart, ont coupé la poire en deux: puisqu’il est trop tard pour annuler la fête, on annule les prières publiques qui l’accompagnent.

Bien sûr, il y aura toujours des râleurs et des râleuses. Ils crient à l’injustice (de fermer la mosquée aux fidèles) et à l’hypocrisie (ou on annule tout, y compris la «fête», ou on autorise tout).

Mais il y a encore d’autres râleurs. Ceux qui se préparent à vivre trois ou quatre jours durant lesquelles les rues seront transformés en décor de western, avec des bouchers qui courent, couteaux en main, des flaques de sang qu’il faudra enjamber, des feux improvisés que personne ne veut éteindre, des ordures non ramassées, des têtes et des peaux d’animaux jetés dans des carrioles poussées par les habituels vendeurs de «vieux habits» (les fameux «moul lizabi»), etc.

Tout cela est un poil exagéré? Peut-être. Mais comment se fait-il que les autorités, les élus et toute la smala des édiles et des bien-pensants n’aient jamais jugé utile d’aménager des espaces dédiés à la «fête», propres et pratiques, pour garder nos rues supportables et humaines? Si un élu militait pour la création de tels espaces, j’en connais qui voteraient pour lui les yeux fermés…

Et puis comment, au milieu de tout cela, ne pas penser à cette autre catégorie de râleurs, les purs et les durs, les derniers irréductibles. Je parle des végétariens et des végétaliens (ce n’est pas la même chose), des végans, des écolos, des âmes délicates qui n’aiment ni la violence ni le sang, de ceux qui n’ont jamais aimé ni «pratiqué» cette fête, des non musulmans et des non religieux, et de toute cette grande petite minorité qui redoute la grande fête et la vit mal, généralement loin, barricadés chez eux ou exilés quelque part dans une chambre d’hôtel, en pensant à des lendemains meilleurs… 

Alors bonne fête à toutes et à tous, et bonne fête aux autres!

Par Karim Boukhari
Le 17/07/2021 à 09h01