Qui ne connait pas Hay Mohammedi? Qui n’aime pas Hay Mohammedi?
Moi je viens de Borgone (quartier Bourgogne), on détestait évidemment tous les quartiers de Casablanca parce qu’on pensait avoir quelque chose de spécial, que les autres n’avaient pas, sauf le «Hay».
Tu peux dire du mal des autres, même de Borgone (alors que c’est le plus beau quartier de Casablanca et de tout le Maroc!), mais le Hay non. Tu ne peux pas. Tu respectes. Rien à faire mon frère, tu respectes.
Le Hay, c’est l’exception casablancaise et même marocaine. Enfant, je croyais que c’était simplement le quartier du TAS, ce club de foot qui a grandi à l’ombre du Wydad et du Raja. Un club de losers, des perdants magnifiques qui ne gagnaient jamais rien et ne dérangeaient personne. Et c’est pour cela qu’on les aimait bien.
Je savais aussi que le Hay était le quartier du «kariane», les carrières centrales, le premier bidonville qui a surgi comme un immense champignon à la périphérie nord de Casablanca.
Mais il n’y avait pas que cela.
Je savais que le Hay était le point de départ du syndicalisme, le vrai. C’est quoi le syndicalisme, au fond? C’est la conscience de classe. C’est quand les opprimés arrivent à comprendre leur condition, à se transcender et à voir plus loin que le bout de leur nez, de leur tribu, de leur quartier.
Le Hay nous a appris d’autres leçons. Avec Nass El Ghiwane, Lemchaheb, Lahcen Zinoun et quelques autres, il nous a fait comprendre que l’art peut pousser comme une herbe sauvage dans les terrains vagues, qu’il y a toujours une perle ou un joyau au fond du sac-poubelle (mais il faut bien se salir les mains avant de s’en saisir). Et que l’art populaire, au fond, c’est une manière de se tenir debout. De la dignité avant tout.
Et puis, quoi d’autre?
Je viens de Borgone, mais c’est comme si je venais du Hay. C’est obligé. Je crois que d’autres personnes sont dans la même situation, à s’accrocher à ce quartier comme à une religion, quelque chose de sacré.
Et pourtant!
Comme tant d’amoureux du Hay, j’ai vu le documentaire «L7sla», ou l’impasse, comme une gifle, au sens premier du terme. Une blessure. Le documentaire de Sonia Terrab, que 2M a eu l’audace de produire, est blessant. Il ne caresse pas dans le sens du poil. Il fait mal. Il montre le Hay comme un piège dans lequel une jeunesse désespérée se débat avant de rendre l’âme, très probablement. Comme des rats.
Le film a malmené mes certitudes et ma fierté. Il fait l’impasse sur la gloire du Hay, sur ses combats passés. Il oublie ses victoires. C’est un instantané urbain, dur et sans concession. Il donne à voir et à écouter une jeunesse qui fait peur, qui fout le bordel, qui crie au stade et partout, qui crie très fort, mais que l’on n’écoute jamais.
J’ai envie de crier à mon tour: il est où mon Hay? Je fais comment pour retrouver mes certitudes? A quoi pourrais-je encore m’accrocher, à quelle branche d’arbre et à quel miracle, à quel rêve?
Quand un documentaire me sort de ma zone de confort et me perturbe à ce point, quand la réalité qu’il renvoie me blesse, j’applaudis des deux mains.
Le Hay renvoie à d’autres quartiers, son impasse est celle d’une grande partie de la jeunesse de ce pays. Le film est un reflet qui nous donne à voir cette réalité. C’est un miroir. Il faut être stupide pour le casser!