Eteignez vos portables, s’il vous plait!

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ChroniqueVous savez comment on savait ce qui se passait dans le monde et surtout au Maroc? En écoutant la radio.

Le 18/06/2022 à 09h00

Avant le web et les réseaux sociaux, il y avait la radio. On voyageait dans et à travers les ondes. Les ondes étaient comme des vagues qui nous emportaient au plus loin. Les frontières sautaient. On tournait le bouton dans tous les sens jusqu’à ce qu’un sifflement et des râles crépitants surgissent du néant. Mesdames et messieurs bonjour, ici Radio France.

Quand il y avait une grosse actu, et que l’on voulait en savoir plus sans attendre les journaux (étrangers) du lendemain, il fallait se jeter tout de suite sur sa radio. Et supporter l’inévitable nuisance sonore qui allait avec.

C’est comme cela qu’on découvrait l’actualité, notre actualité, surtout celle qui était trempée dans le vinaigre et qui n’atterrissait jamais dans les ondes marocaines: en allant chercher très loin dans les ondes, en supportant le grésillement ininterrompu qui rendait la moitié des mots inaudibles. Il fallait coller l’oreille tout près de la radio. Il fallait surtout être seul.

Pourquoi seul? Pour ne pas passer pour un opposant, et pour ne pas déranger les autres.

Ceux parmi vous qui ont connu cette époque glorieuse et ces méthodes ingénieuses doivent avoir le sourire aux lèvres. Il y a de quoi. Toutes ces précautions, toute cette peine, nous semblent aujourd’hui bien risibles, alors qu’on est envahis par toutes sortes de bruits et d’informations qu’on ne s’est même pas donné la peine d’aller chercher. Il suffit d’ouvrir son téléphone ou son ordinateur pour que tout un monde vous tombe dessus.

Je vous parle de cette époque que l’on dit bénie, mais qui était en réalité pénible, parce que le téléphone de l’homme qui se tient à quelques tables de moi émet ce même grésillement insupportable. En plus du sifflement, le volume sonore multiplie les ondulations, les flux et les reflux. On dirait Radio France interviewant Moumen Diouri (ancien opposant marocain, aujourd’hui décédé) dans une séquence brouillée par les services marocains. Une vraie séance de torture pour les oreilles.

Pour combattre le bruit, j’invite le serveur à augmenter le volume de la télévision, qui diffuse des clips à la chaîne. Je me retrouve avec une nuisance sonore de plus, pendant que les sifflements continuent de menacer mon tympan. Alors je prends mon courage à deux mains et je me dirige vers cet homme au téléphone insupportable.

«Oh!, me dit-il, je ne pensais pas que mon téléphone vous dérangerait à ce point.» C’est un homme charmant, aux cheveux grisonnants, un bon père de famille à qui personne n’a jamais expliqué qu’il fallait mettre des écouteurs pour ne pas envahir les autres. Il ne sait pas parce que ce n’est pas écrit dans les manuels d’utilisation. Alors il se sert de son téléphone comme d’une radio aux émissions toxiques. Il me dit que tout le monde trouvait cela normal, qu’il y a pire dans la vie et que les comme moi devaient souffrir dans les lieux publics.

J’acquiesce et rajoute que la souffrance des comme moi est décuplée avec ce grésillement digne de la radio qui a bercé nos oreilles pendant les douces années de plomb.

«Oh! ça, c’est parce que je suivais une réunion en direct, les conditions techniques n’étaient pas optimales.» Et il est parti en me promettant de faire un peu plus attention la prochaine fois.

Ô, mon ami, achetez seulement des écouteurs et tout ira bien. Ou alors éteignez votre téléphone, reposez-le de temps en temps. Et expliquez à vos enfants, collègues et fréquentations certaines règles de politesse (et d’hygiène sonore) à adopter face à leurs magnifiques téléphones portables.

Par Karim Boukhari
Le 18/06/2022 à 09h00