Quand un ami mexicain m´a invité à une rencontre littéraire, il m´a dit que nous serions logés, ma femme et moi, dans une maison de la vieille ville de la Havane. Ce fut le meilleur cadeau qu´il nous a fait. La passionnante réalité cubaine n´est pas seulement les hôtels et les paysages somptueux de Varadero et Cayo Coco.
La Havane est un musée sur le devenir des peuples et leurs choix politiques. Sa descente en enfer est racontée par Pedro Juan Gutiérrez, dans la «Trilogie sale de La Havane» et «le Roi de La Havane», faisant de la dégradation morale de la société urbaine post-révolutionnaire et son avilissement par la misère une démarche éthique.
Il nous rappelle aussi que la culture des grandes nations permet l’équilibre entre l’identité et la flexibilité de l’imaginaire. Chez lui, dans un quartier de la Havane, il m´a parlé sereinement de l’incompréhension et du refus dont il souffre de la part des siens, habitués aux chants des chérubins.
La décrépitude de la Havane nous parle de la déchéance de la beauté menée par les idéaux humains et leur incontournable espoir de survie. Le socialisme d’État, avec son monopole de la sphère publique et sa politique égalitariste, est moribond. La rue cubaine et ses dirigeants sont conscients et prêts à faire le pas vers une nouvelle approche, malgré une peur certaine du vide.
A Cuba, il est difficile de parler de «dissidence», malgré sa mise en scène de temps à autre dans les médias internationaux. Il n’y a pas de société civile hors le régime. L’asymétrie entre un État très fort et une agitation sociale sourde et limitée à certains secteurs de l’économie et de la culture, reste très segmentée.
Le socialisme a engendré une société apolitique. La motivation qui prévaut est le désir de consommer, dans un pays où tout est dosé de manière perverse. Quand il y a des aubergines, il est difficile de trouver autre chose, à part quelques papayes. Le salaire moyen mensuel est de 250 DH.
Cuba est une petite île de 11 millions d’habitants avec un régime fatigué. Elle compte sur une utopie lui générant une sympathie très large dans le monde. L´intérêt des États-Unis pour elle est géopolitique, mais aussi symbolique. La distension entre les deux pays, promue par Obama, est une aubaine pour le capital.
L’État cubain veut une ouverture sans hâte. Assurer les intérêts de l’élite de la révolution, face à celle qui fut éjectée par elle, installée aux États Unies et ailleurs, est l’objectif. La décentralisation promue par Raul Castro dépend des négociations avec les Américains, du contexte social et de la présence chinoise dans la région.
Devant la chute probable du bolivarisme au Venezuela et ailleurs, la crainte se centre sur qui va assurer a l´île l´approvisionnement solidaire en pétrole. L´Arabie Saoudite, L´Algérie, l’Iran ?
L’ouverture politique dépend de ces éléments. La démocratie n´est pas éminente. Elle se limite à une prolifération de restaurants, à quelques points wifi, permettant à la population de naviguer quelques minutes par jour et à l’acquisition du «el paquete» (le pack), contenant dans une clef USB toutes les richesses d’Internet, offert semble-t-il par la générosité des cadres de l´Université des Sciences informatiques, méprisant la démocratie et la foi socialiste.