J’avais un copain de classe qui répétait cette formule, en rigolant: «Li ma jab’ha l’qalam, y’jib’ha l’qadam». Traduisez: ce que mon stylo n’a pas pu réaliser, mon pied le réalisera. Il avait raison.
Mon copain était un cancre en classe, mais un cancre sympathique, au cœur gros comme ça. Ses bulletins scolaires ne rendaient pas forcément justice à son QI. Au final, il a raté ses études mais pas sa carrière de footballeur (calmons-nous, il n’a pas eu la carrière de Messi non plus). Le «qadam», c’est-à-dire le pied, son pied, lui a offert cette revanche, cette remontada.
C’est comme si, au match aller, la vie l’avait battu 4-0, et qu’au retour, il a gagné 5-0 ou 6-1. Cela arrive, rappelez-vous le Barça…
Pour mon ami, donc, le pied a réparé ce qui a été cassé. Il a rattrapé sa plume cassée.
Le foot, c’est ça et ce n’est pas près de changer: une voie d’émancipation, un motif d’espoir, un ballon rempli de cet air vivifiant de fraîcheur et qui fleure bon le rattrapage, la deuxième chance. Surtout dans un pays où l’ascenseur social est trop souvent en panne. Parce qu’il y a cette mentalité qui dit: «Puisque vous nous avez tout pris, laissez-nous le foot, au moins!»
Bien sûr, il ne faut pas aller si vite en besogne, s’enflammer. Il faut faire la part des choses, comme on dit. Mais il y a ce fond de victimisation que beaucoup ne comprennent pas, et qu’il faut prendre comme il vient. C’est ce fond qui fait chanter aux supporters du Raja de Casablanca leur célèbre hymne «Fi bladi dalmouni», formule difficile à traduire mais que l’on pourrait plus ou moins transposer ainsi: «Dans mon pays, on ne m’a pas rendu justice».
C’est comme ça et si on ne comprend pas, il faudra quand même composer et faire avec.
Le foot, mes amis, ce n’est pas que de la testostérone. Ce n’est pas que de la bêtise, ce n’est pas que ce truc de garçons et d’hommes qui ont un ballon d’air à la place du cerveau.
C’est bien sûr un exutoire (en arabe cela donne «moutanafass» et ça sonne tellement juste) et c’est un concentré qui vous dit tout suite tout ou presque sur la société dans laquelle vous vivez.
Et ce n’est pas seulement une question de mâle, mais de bien aussi. Le foot, c’est elles et pas seulement eux. Oui, oui, réveillons-nous. Cela fait longtemps que les filles se sont emparées de la gonfle qui rend les mâles fous, encore plus fous, et il était temps que cela se sache. Voilà.
Regardez ces Lionnes de l’Atlas, révélation du Mondial d’Australie-Nouvelle-Zélande, et vous aurez un instantané de la société marocaine. Celle qui se bat contre tout ce que vous voulez et que vous n’osez pas dire, pas forcément.
Il y a cette mixité sociale, ce mélange «ethnique» (un mot que la parenthèse du protectorat nous a appris à abhorrer), il y a ce lien de «tamgharbit» (encore un mot qui titille notre méfiance alors qu’il est si beau, le pauvre), il y a cette force de se relever alors que tout fout le camp et que l’on est par terre.
Et il y a ces petites victoires arrachées à on ne sait quelle adversité, mais certainement ancienne, plurielle, tenace, bête et méchante.
A toi mon ami le cancre devenu un excellent footballeur, si tu lis ce billet du weekend, raconte-leur le jour où ta maman t’a peut-être surpris en disant: «Si j’avais le (bon) pied, et si je savais que le foot pouvait m’offrir une revanche sur la vie, j’aurais tant voulu être footballeuse!»