Il est difficile de faire comprendre à un parent marocain qu'infliger une correction physique à son enfant, ou lui servir un discours qui le rabaisse, est un comportement plus destructeur que constructif pour celui-ci.
Au Maroc, 9 enfants sur 10 sont victimes de violences, selon un constat établi par l’Unicef, dans un rapport paru il y a trois années, sous le titre "Progress for children with equity in the Middle East and North Africa" ("Des progrès pour les enfants, avec équité, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord").
Cette violence physique, verbale, ou plus indidieusement psychologique, est généralement banalisée par l’entourage même de l’enfant, et celui-ci la subit chez lui, à l’école, et même dans la rue, sans naturellement pouvoir se défendre.
La violence commise envers les enfants peut prendre différentes formes: cela va des "petites" corrections physiques, aux agressions sexuelles. "Nous avons reçu des cas de violence extrême. Certains parents blessent volontairement, séquestrent dans un placard, insultent et torturent leurs enfants pour les "élever". D’autres infligent à leur progéniture des relations sexuelles accompagnées de tortures dès leur très jeune âge", explique Najia Adib, présidente Touche pas à mes enfants, une association de défense des droits de l'enfance.
La maltraitance des enfants ne provient pas uniquement des parents. En milieu scolaire, ou dans la rue, les enfants ne sont pas à l’abri des violences. La médiatisation de certains cas extrêmes a permis faire un focus sur ce véritable fléau, qui laisse des séquelles multiformes, à vie, à l'enfant devenu adulte, alors même que ces violences subies sont tributaires du poids de tabous, et de non-dits, ou encore se retrouvent banalisées.
Violence en milieu scolaireLes violences en milieu scolaire restent largement répandues dans notre pays. Le récent scandale né à Taroudant, d'une petite fille âgée de huit ans, qui avait été violentée par son instituteur et dont la photo, les yeux tuméfiés, a largement circulé sur les réseaux sociaux, est révélatrice d'un malaise qui concerne l'ensemble de la société.
Dans cette interview pour Le360, Sofia Habib, psychologue clinicienne et thérapeute, fait le tour de la question: elle explique les différentes formes que peut prendre la violence, ses limites et son impact sur le développement d'un enfant.
Une autre photographie, d'une autre petite fille, âgée quant à elle de 11 ans, le visage complètement tuméfié, a également fait le tour des réseaux sociaux et des médias, la semaine dernière. Egalement violentée par son instituteur, selon les dires de ses parents, la jeune élève, accompagnée de son père, a témoigné de ce qu'elle a subi, et une plainte a été déposée contre cet enseignant, entre-temps arrêté, et qui se trouve actuellement sous le coup de poursuites judiciaires.
"Le cas de cette fille n’est pas isolé. Des milliers d’enfants sont violentés tous les jours par les enseignants, avec l’encouragement des parents:"tu égorges et j’écorche", c'est une phrase bien connue que répètent les parents aux instituteurs, sans mesurer la gravité de leurs mots!", s'exclame Najia Adib.
Cette situation révèle, en fait, une ignorance certaine, et met à jour le manque de formation des enseignants sur des notions de base concernant la psychologie de l’enfant, ou sur les moyens à même d'instaurer leur autorité sans avoir recours à une violence destructrice. Ces enseignants, qui perdent parfois patience, choisissent, pour certains, de se "défouler" sur leurs élèves.
"On choisit mal les gens qui vont éduquer les citoyens de demain! L’éducation est le pilier de la société, il faut cesser de normaliser les violences en milieu scolaire, et vérifier par différents moyens l’aptitude d’une personne à "gérer" des enfants", plaide la présidente de Touche pas à mes enfants.
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De plus, le fait que tant d'enfants soient victimes de violences au Maroc engendre, dans une spirale infernale, d'autres actes de violences, dont des enfants qui en agressent d'autres à l’école. Il n’est d'ailleurs pas rare de voir, devant les portes des écoles marocaines, des enfants qui se disputent violemment. "Un enfant violenté va développer des mécanismes psychiques pour se défendre. Il deviendra à son tour violent, ou encore isolé et asocial”, explique Sofia Habib, psychologue clinicienne et thérapeute.
Violences sexuelles à l’encontre des enfants Le caractère tabou et l’absence de signalement et de dénonciation de nombreux actes de violence sexuelle envers les enfants, empêchent de rendre compte de l’ampleur de ce phénomène au Maroc. Viols, attentats à la pudeur avec ou sans violences... Plusieurs enfants marocains sont victimes de différentes formes de violences sexuelles, et sont contraints de souffrir en silence.
Le ministère de la Justice a repertorié, en 2017, 5.980 cas de violences commises à l’égard d'enfants, dont 40% (soit 2.403 cas) ont été des violences à caractère sexuel. Ce nombre, le ministère le scinde de cette façon: 494 cas de viols, 1.544 cas d’"atteinte à la pudeur de mineur avec violences" et 365 cas d’"atteinte à la pudeur de mineur sans violences".
Ces statistiques sont cependant très peu représentatives de la réalité de ces violences dans la société. Les enfants victimes de violences sexuelles restent le plus souvent silencieux, parce qu'ils sont dans l'"incapacité de verbaliser ce qu’ils ont vécu", explique Sofia Habib, qui insiste sur l’importance de ne pas négliger les changements de comportement des enfants, pour détecter ce type de violence.
"Agitation, perte d’appétit, peur de l’endroit où s’est déroulée l’agression, reproduction de certains gestes pendant le jeu… Autant de symptômes que l’enfant peut verbaliser avec son corps, mais ne peut aucunement exprimer avec les mots, en cas de violences sexuelles", explique encore la thérapeute.
Qu'en pensent les professionnels de la santé psychique?Selon la définition universelle donnée par des spécialistes de la protection des enfants, tout mauvais traitement infligé à un enfant, pouvant entraîner des blessures ou des effets néfastes sur les plans affectif ou psychologique de ce dernier, est considéré comme étant une violence.
Cela dit, cette définition varie d’un pays à un autre, et ce qui est perçu comme de l’abus par certains, est considéré comme "normal" et "acceptable" par d’autres.
Au Maroc, les châtiments corporels, ou encore les insultes humiliantes, sont considérés comme faisant partie du processus classique de l’éducation. Ces comportements, qui se reproduisent de génération en génération, et qui sont donc "confortablement" installés dans les moeurs de la société, par un effet culturel, paraissent même indispensables aux parents et ont, dans le même temps, de réelles conséquences sur la santé psychique de leurs enfants, et sur leur développement à venir.