Ils ont entre quatre et six ans. Chaque matin, plus d’un million d’enfants marocains entrent au préscolaire avec un potentiel immense.
Pourtant, l’excellent dernier rapport d’évaluation du préscolaire réalisé par le Conseil supérieur de l’éducation, le confirme sans ambiguïté: la généralisation quantitative est réussie mais masque une crise profonde de qualité et d’équité.
Soyons clairs: ce rapport n’est ni le premier, ni le dernier. Et tant que l’éducation restera soumise aux arbitrages politiques conjoncturels, nous continuerons à produire des diagnostics sans lendemain et ce, malgré l’investissement de milliers d’acteurs sur le terrain qui font un travail formidable malgré les difficultés du quotidien.
Le problème n’est pas pédagogique. Il n’est pas financier. Il est politique.
Le faux débat des moyens
Le Maroc a les moyens d’un préscolaire de qualité. Quand il s’agit d’infrastructures, de grands événements ou de projets stratégiques, les ressources sont mobilisées.
En revanche, l’éducation reste une priorité de discours, rarement une priorité d’arbitrage.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes: à la fin du préscolaire, les enfants n’atteignent en moyenne que 61% des compétences attendues, avec des scores encore plus faibles en littératie et numératie.
Pire: le déterminisme devient structurel, l’origine sociale et territoriale continue de déterminer le destin éducatif:
- Urbain vs rural;
- Privé vs public;
- Établissements dotés vs établissements démunis.
Ces écarts ne sont pas une fatalité. Ils sont le résultat de choix politiques assumés ou subis.
Ce que révèle réellement le rapport
Classes surchargées, manque de matériel pédagogique, infrastructures indignes, statuts précaires des éducateurs, inégalités territoriales persistantes depuis des décennies. Chacun de ces dysfonctionnements pourrait être corrigé rapidement si l’éducation était une priorité non négociable.
Le préscolaire souffre d’un mal structurel:
- il ne rapporte rien politiquement à court terme;
- il ne mobilise aucun contre-pouvoir;
- il ne concerne pas directement les enfants des élites décisionnaires.
Résultat: un équilibre pervers où tout le monde s’accommode du statu quo, sauf nos enfants du public et du rural.
La seule rupture possible: sanctuariser l’éducation nationale marocaine.
Tant que l’éducation restera une variable d’ajustement budgétaire, aucune réforme ne tiendra dans la durée. Les recommandations techniques sont connues. Elles sont pertinentes. Mais sans sanctuarisation politique, elles resteront lettre morte.
«Sanctuariser l’éducation est le test de maturité politique d’une nation. C’est le moment où un pays choisit entre la reproduction des inégalités ou la construction d’un avenir partagé.»
— Jamal Belahrach
Sanctuariser l’éducation, ce n’est pas un slogan. C’est une décision institutionnelle forte qui implique:
- un budget incompressible inscrit dans la Constitution, prioritaire et non négociable;
- des standards de qualité opposables (ratios, formation, infrastructures, statut des éducateurs);
- une autorité indépendante d’évaluation, hors cycles électoraux;
- une planification éducative sur 15 à 20 ans, engageant l’État au-delà des gouvernements.
C’est retirer l’éducation du marchandage politique annuel pour en faire un socle régalien intangible.
Pourquoi cette sanctuarisation change tout?
Elle impose la continuité là où règne l’instabilité. Elle crée la redevabilité là où prospère l’irresponsabilité. Elle réduit les inégalités non par des discours, mais par le droit. Elle envoie un signal clair: l’avenir de nos enfants vaut plus que les calculs électoraux.
Les pays (on les connait) qui ont fait ce choix n’ont pas été naïfs. Ils ont été courageux. Et ils en récoltent aujourd’hui les fruits économiques, sociaux et démocratiques.
Derrière les chiffres, des femmes oubliées
Le préscolaire repose massivement sur des éducatrices engagées, souvent formées, presque toujours précarisées. Elles portent une mission fondatrice sans reconnaissance statutaire ni conditions dignes.
Sanctuariser l’éducation, c’est aussi leur rendre justice: un cadre unifié, une formation continue, des effectifs maîtrisés, une reconnaissance sociale à la hauteur de leur rôle.
Ce qui est en jeu
Les neurosciences sont formelles: l’essentiel du développement cognitif se joue avant six ans. Chaque année perdue est irréversible. Chaque génération sacrifiée affaiblit durablement le pays et donc, les générations futures.
Le préscolaire n’est pas une politique sociale parmi d’autres. C’est le socle de la méritocratie, de la cohésion sociale et de la croissance future.
La vraie question
Notre pays a-t-il le courage de considérer l’éducation comme un bien supérieur, au-dessus des cycles politiques? Ou bien continuera-t-il à produire des rapports lucides… sans décisions courageuses?
Sanctuariser l’éducation est le test de maturité politique d’une nation. C’est le moment où un pays choisit entre la reproduction des inégalités ou la construction d’un avenir partagé.
Le Momentum actuel nous oblige de considérer cette question éducative dans l’urgence.
L’enfance n’attend pas, l’avenir de notre pays se construit ici et maintenant. Le temps politique, lui, a trop attendu.
Agir maintenant n’est pas une option. Le temps du débat est révolu. C’est une responsabilité historique.





