Très Cher Maroc!

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueC’est un sujet que  j’ai déjà traité. Mais le récent discours de Sa Majesté m’a incité à y revenir.

Le 04/08/2025 à 11h03

Tout le monde en parle. Chacun raconte combien lui a coûté la sortie avec ses enfants pour un goûter dans un de ces cafés à la mode. Sans parler des restaurants qui pratiquent des prix européens sans honte. Le principal c’est d’engranger le maximum d’argent. Le pire c’est que c’est un engrenage. Tout le monde s’y met, sauf les malheureux petits taxis. Ils aimeraient bien augmenter de quelques dirhams leurs courses, mais ils ne le peuvent.

Des médias ont constaté que le nombre des MRE revenant dans leur pays pour des vacances a baissé par rapport aux autres années. Des chiffres affirment le contraire. Il y a cependant un nombre non négligeable de MRE qui a décidé de ne pas se rendre dans le plus beau pays du monde, lui préférant l’Espagne ou la Turquie. La raison: le Maroc est devenu trop cher. Le prix des billets d’avion; le prix de la traversée Algésiras-Port Med; le prix des hôtels (avec un service médiocre); les prix pratiqués par des restaurants. Les additions sont du niveau des restaurants parisiens, la qualité et le bon service en moins.

Une constante: les salaires des employés de ces cafés et restaurants sont très bas. Ils ne suivent pas la hausse des prix pratiqués.

C’est la ruée vers l’or! La course sans pitié.

Libéralisme sauvage, absence de civisme. On dépouille le client, que ce soit au marché de poisson, ou dans une clinique. Le Marocain veut gagner vite et beaucoup. Il est assoiffé d’argent. Plus de valeurs, plus de principes. C’est la jungle.

Des figues ne dépassant pas les 10 dirhams habituellement sont vendues jusqu’à 50 DH le kilo. Le prix du kilo de la sardine, poisson bon pour la santé et très populaire, est passé de 10 DH à 25 voire 30 DH.

Cette politique basée sur l’appât du gain, sur une rapacité nouvelle, sur un mépris du citoyen modeste au pouvoir d’achat limité, est une erreur. C’est aussi un coup fatal porté au tourisme qui semblait en bonne santé. Les réseaux sociaux rapportent des témoignages de touristes qui ne reviendront pas. Ils iront en Grèce, en Turquie ou en Croatie.

L’État devrait intervenir. Contrôle des prix (comme il vient de le faire pour certains médicaments), prix spéciaux sur les vols en direction du plus beau pays du monde, révision de la politique des prix qui ne tiennent nullement compte de l’état du pouvoir d’achat de la majorité des citoyens.

«Le Maroc à deux vitesses se trouve là. C’est une question morale avant d’être d’ordre économique. L’égoïsme est triomphant ainsi que l’individualisme alors que, chose étrange, nous sommes dans une société qui ne reconnaît pas l’individu. Il n’y a pas de liberté de conscience, mais on laisse s’installer le libéralisme économique qui écrase les petits et enrichit les plus riches. »

—  Tahar Ben Jelloun

Cette dérive qui s’est installée pour toujours a des conséquences économiques et sociologiques graves.

«Pas d’un Maroc à deux vitesses» a dit Sa Majesté dans son discours du Trône. Il est urgent de l’écouter et de mettre en pratique une politique citoyenne, quitte à ce que les gros acceptent de renoncer à une petite partie de leur marge bénéficiaire.

L’exemple le plus direct est celui du prix du litre d’essence: 13,09 DH (1,30 Euros). Je sais que c’est compliqué. Mais baisser la marge bénéficiaire ne ruinerait aucun grand producteur ou industriel. Nous copions le système français pourri par le nombre d’intermédiaires.

Il y aurait tant de choses à faire, mais il paraît que telle est la liberté. Oui, mais qui va défendre le pauvre, la famille vivant dans la précarité? Qui agira en leurs noms? Cela génère une violence qui se banalise. Des frustrations, surtout chez les jeunes, tentés par l’illégalité.

L’école privée est devenue une manne faisant rêver tout le monde. Le prix mensuel va de 800 à 5000 dirhams par élève. Certains propriétaires ont multiplié les écoles, comme a fait l’initiateur des cliniques Akdital (groupe créé par un médecin réanimateur Rochdi Talib). Bonne initiative, surtout pour ceux qui ont les moyens.

Personne ne vous oblige à inscrire votre enfant dans une école privée ni de vous adresser à une clinique privée. L’état de l’école publique ainsi que de l’hôpital public souffre d’une mauvaise réputation. Cela pousse les gens vers le privé, alors que l’enseignement public s’améliore et le système de la santé a changé en mieux.

Le citoyen est sans défense. Les fonctionnaires ont la sécurité sociale. Mais les autres, tout le secteur de l’informel?

Le Maroc à deux vitesses se trouve là. C’est une question morale avant d’être d’ordre économique. L’égoïsme est triomphant ainsi que l’individualisme alors que, chose étrange, nous sommes dans une société qui ne reconnaît pas l’individu. Il n’y a pas de liberté de conscience, mais on laisse s’installer le libéralisme économique qui écrase les petits et enrichit les plus riches.

Tout cela est bien bizarre! Vous avez écrit «bizarre», comme c’est bizarre! Et ainsi, nous sommes dans un «drôle de drame», le film, pas la réalité. Laquelle est amère.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 04/08/2025 à 11h03