Alors que le Maroc entrevoit une refonte de son Code de la famille, la question du travail domestique des femmes s’impose dans le débat public. L‘Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC), soutenue par l’ONU Femmes Maroc, se propose d’y participer en lançant une campagne de sensibilisation dont l’objectif est de faire reconnaître ce travail «invisible» et en redistribuer équitablement la charge.
Intitulée «Le partage des tâches domestiques n’est pas une honte» («Ch9a dare machi 7ogra» en arabe) et s’inscrivant dans le programme régional «Dare to care» de l’ONU Femmes Maroc, ladite campagne a été annoncée dans une conférence tenue hier mercredi, en prélude à une marche prévue ce jeudi 1er mai, dans le quartier Derb Omar, à Casablanca.
Un tablier «fiche de poste»
Objectif: rendre visible un travail souvent considéré comme allant de soi. Préparer les repas, nettoyer, planifier, soigner les membres de la famille ou encore s’occuper de l’éducation des enfants, des tâches effectuées quotidiennement par des millions de femmes, mais qui ne sont pas reconnues comme un travail à part entière.
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Pour symboliser ce labeur féminin caché, l’ATEC a confectionné un tablier floqué des différentes fonctions que peut remplir une femme dans le cadre de la gestion du foyer: cuisinière, éducatrice, infirmière, intendante… Autant de rôles dans une «une fiche de poste imaginaire», dixit Bouchra Abdou, présidente de l’association.
Ce tablier, qui sera porté par les manifestantes durant leur marche casablancaise, se veut une manière concrète d’illustrer la diversité et l’intensité du travail accompli à domicile par des femmes.
Cinq heures quotidiennes de travail
L’ATEC appuie son plaidoyer par les données du Haut-Commissariat au plan (HCP): les femmes marocaines consacrent en moyenne 5 heures par jour aux tâches domestiques, contre seulement 43 minutes pour les hommes. Face à cette inégalité, le projet de l’ATEC travaille sur «une transformation durable des mentalités et des comportements liés aux responsabilités attribuées dans un foyer», explique Raja Hamin, travailleuse sociale au sein de l’association.
Parmi ses missions figurent la déconstruction des stéréotypes de genre liés au travail domestique, la sensibilisation et l’implication active des jeunes hommes dans un partage équitable des responsabilités, ainsi que le renforcement des capacités d’acteurs sociaux autour des notions de masculinité positive et de justice domestique.
Impliquer les jeunes
Le projet cible en priorité les jeunes de sexe masculin dans les régions de Casablanca-Settat et Marrakech-Safi, mais aussi les relais d’influence tels que les enseignants, les journalistes et les figures religieuses, ainsi que les familles, les établissements scolaires et les communautés locales.
L’ATEC affiche des attentes ambitieuses: mobiliser plus de 50.000 jeunes et membres de communautés, transformer durablement les représentations à travers des relais formés et réduire d’une heure le temps consacré chaque jour aux tâches domestiques par les femmes dans les foyers ciblés.
Pour y parvenir, plusieurs initiatives sont mises en œuvre, comme des campagnes sociales et médiatiques à destination des jeunes, des actions de sensibilisation en milieu scolaire, l’accompagnement des organisations de la société civile pour pérenniser les messages du projet, et le déploiement d’une stratégie de communication multicanale incluant médias traditionnels et contenus numériques.
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Pour l’association et ses partenaires, il s’agit avant tout de susciter «une prise de conscience», souligne Meriem Naciri, représentante d’ONU Femmes Maroc, qui insiste sur «la nécessité d’impliquer hommes et garçons pour un partage plus juste au sein du foyer».
La campagne s’étendra jusqu’en septembre 2026, mêlant actions de terrain, création de contenus digitaux, théâtre itinérant, événements sportifs, et développement d’un outil mobile permettant aux familles de mesurer le temps consacré aux tâches ménagères. Un volet éducatif sera également déployé dans les établissements scolaires et centres de formation professionnelle.
Ambition: une reconnaissance juridique
Pour Raja Hamin, l’enjeu dépasse la simple sensibilisation: «Il s’agit d’un travail qui n’est reconnu ni économiquement, ni socialement, ni juridiquement», déplore-t-elle, appelant à faire évoluer les représentations et à intégrer cette reconnaissance dans les textes législatifs.
Bouchra Abdou estime quant à elle que le débat intervient à un moment charnière. «À l’orée de la promulgation du nouveau Code de la famille, il est important que ce travail soit pris en compte, notamment dans les discussions sur le partage des biens», souligne-t-elle, plaidant à son tour pour une valorisation concrète de cette activité dans le cadre juridique.
À travers cette initiative, l’association ne revendique pas qu’une reconnaissance symbolique. Elle entend inscrire la question du travail domestique dans une réflexion plus large sur les droits économiques et sociaux des femmes et sur les mécanismes de redistribution des responsabilités familiales.








