Société normale et intolérance

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueAinsi, tout le monde ou presque se mobilise pour défendre l’islam et ses valeurs, comme s’il était vraiment en danger et puis personne ne semble être offusqué par l’inceste le plus dégueulasse repéré dans notre pays.

Le 22/09/2025 à 10h58

Ma dernière chronique «Une société normale» a suscité beaucoup de commentaires. J’ai été sidéré de lire des phrases haineuses, violentes, sans pitié pour Betty Lachgar qui a manqué de respect à la religion musulmane et pas un seul commentaire sur l’autre affaire, celle du père qui a fait six enfants à sa fille en toute tranquillité.

Ainsi, tout le monde ou presque se mobilise pour défendre l’islam et ses valeurs, comme s’il était vraiment en danger et puis personne ne semble être offusqué par l’inceste le plus dégueulasse repéré dans notre pays.

L’islam n’est pas vulnérable. Et ce n’est certainement pas quelques gesticulations provocatrices qui vont le détruire. L’islam est un ciment extraordinaire de la société. Il apaise et aide à vivre.

Le critiquer, et ce n’est pas la première fois que ça arrive, n’a pas d’importance, car il est fort, bien ancré dans les racines de la société et ne sera jamais atteint pas des paroles malveillantes.

En revanche, quand l’islam est détourné par des éléments terroristes qui s’emparent du drapeau musulman pour commettre les pires crimes dans le monde, là, je sens que cette religion a été abîmée par ces voyous qui s’en sont servi sans honte ni respect.

Il faut laisser l’islam en paix. Ni l’insulter, ni le détourner.

Cela étant dit, il y a en islam même un esprit de tolérance pour ceux que le Saint Coran appelle «les égarés». Et puis le musulman en tant qu’individu est seul responsable de ses actes et de ses dires. Il n’a de compte à rendre qu’à Dieu.

Cette notion de responsabilité est importante. Elle donne un statut au citoyen que le Code de la famille ne lui accorde pas. Cette responsabilité pourrait se traduire par les termes modernes de «liberté de conscience».

Cette liberté est fondamentale, car il n’y a pas de croyance forcée sous la menace et la punition. La liberté permet à chacun de se conduire selon sa conscience, sa morale, son éducation, son devoir. Il a aussi des droits. Mais l’un ne va pas sans l’autre. Droit et devoir font partie de la même valeur.

L’inceste est le pire des crimes.

Toute la société est basée sur cet interdit. Sinon, quelle différence aurions-nous avec les bêtes? Aucune société n’a pu survivre en brisant ce tabou. C’est la base même de la famille.

L’exogamie, le fait de se marier en dehors de la tribu, est encouragée par l’islam. Il est conseillé de tisser des liens avec des sociétés différentes, lesquelles ont en commun des valeurs non négociables.

Le père incestueux, on ne peut que le plaindre. Il ne mérite aucun respect. La loi dira son mot. Mais ce qui m’inquiète c’est l’état de santé mentale de la fille abusée et des enfants nés de ce crime. En fait c’est toute la famille qui devrait être soignée, prise en charge par une psychothérapie longue et solide.

C’est en ce sens que je redis qu’il est absolument urgent que l’État se préoccupe de leur avenir en les réparant, en les retirant d’un passé trouble et immoral, en les aidant à sortir d’un bourbier terrifiant.

Ce cas rappelle celui du commissaire de police Tabet, qui, dans les années 90 avait organisé des viols et des orgies dans un appartement où il filmait ses méfaits. Il avait été condamné à mort et exécuté.

Je suis contre la peine de mort. Mais que le père incestueux soit mis hors d’état de nuire selon un jugement des plus sévères.

Notre normalité fait que des horreurs existent et que nous en parlons de plus en plus. Les crimes sur les enfants, les crimes d’inceste, les crimes de féminicide ne sont plus cachés. Nous sommes une société comme les autres. Briser le silence, en finir avec l’hypocrisie, sont une avancée notable de notre «vivre ensemble». Nous le devons à la société civile, nous le devons à l’extraordinaire Aïcha Ech-Chenna (1941-2022) que Dieu ait son âme. Nous sommes sur la voie de l’État de droit et en ce sens, laissons la justice faire son travail, et donnons aux acteurs et actrices de la société civile, les moyens pour agir et protéger l’enfance abusée et les femmes maltraitées.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 22/09/2025 à 10h58