La fin du mois de Ramadan se profile et avec elle la fin d’un mois de dur labeur pour beaucoup de femmes. Alors qu’on s’étripe sur les réseaux sociaux au sujet de la révision du Code de la famille, pour savoir si oui ou non la femme mérite de disposer des mêmes droits que l’homme au sein de la cellule familiale, dans la vie de tous les jours, que les détracteurs des féministes se rassurent, les femmes et les hommes sont loin d’être égaux devant les tâches du quotidien.
On s’en rend particulièrement compte en période de ramadan, ce mois spirituel où l’on est censé compatir avec les plus démunis mais qui s’avère être bien souvent un mois de grand gaspillage. Ramadan, donc, c’est aussi ce mois pendant lequel les femmes vont, encore plus que d’habitude, se plier en quatre pour être au four et au moulin.
Notre société a beau se moderniser, trop vite selon certains et pas assez pour d’autres, ce mois est l’occasion de prendre la mesure du poids des traditions. Jusqu’aux influenceuses qui troquent leur attirail de modeuses/makeupeuses/testeuses pour se transformer en femmes hadgates derrière les fourneaux. C’est à celle qui aura le plus de casseroles en même temps sur le feu, qui saura surveiller d’un œil expert (et sans goûter s’il vous plait) la texture de sa soupe et la cuisson de son gigot, qui mettra un point d’honneur à préparer elle-même ses ch’hiwates et en aucun cas à les acheter, qui pensera chaque soir aux menus du ftour, de l’aâcha et du shour et qui en plus maîtrisera l’art du dressage de la table.
Qu’on soit femme active ou femme au foyer (elle aussi très active), le ramadan éveille visiblement en nous un vieil instinct, celui de la mère nourricière. C’est à nous qu’incombe la tâche de nourrir la famille, de faire plaisir à tout le monde, de combler les fantasmes culinaires des uns et des autres. Pendant un mois, la cuisine devient le temple d’une créativité débordante. Car il va falloir pendant près de trente jours, tenter de se surpasser en qualité, en quantité mais aussi en diversité pour éviter que la lassitude s’installe dans l’assiette. Côté difficulté du challenge, on est au maximum. Si le ramadan était un concours culinaire, les Marocaines en seraient les grandes championnes.
Une fois tous attablés, c’est ce même vieil instinct féminin qui nous fait contempler avec plaisir nos proches se délecter des fruits de notre labeur. C’est la jouissance de la mission accomplie, du travail bien fait qui nous envahit mais aussi le plaisir de tâter du bout de sa fourchette ce pouvoir dont on est investi, celui de la toute puissante mère nourricière. On coche désormais toutes les cases de la femme idéale et de la femme accomplie selon les critères de notre société et entre deux bouchées de chebakia, on savoure notre «victoire», éreintées.
Alors que nos amis masculins si effrayés par le changement qu’impliquerait la nouvelle mouture de la moudawana se rassurent. Au Maroc, il y a les lois, certes, mais il y a aussi les traditions, qui pèsent encore bien lourd et dont on n’est pas prêts à s’affranchir, parce que souvent, on ne le veut pas. Alors changement de lois ou pas, la table continuera encore d’être bien garnie par madame pendant les ramadans à venir. Vous aurez alors le choix de perpétuer la tradition du Hak el Malh, en lui offrant un bijou pour la remercier (et non la récompenser) de ses efforts et son abnégation tout au long du mois, ou vous opterez peut-être pour un semblant de changement, en passant derrière les fourneaux pour la servir. Parce qu’après tout, pourquoi pas?